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De longues parcelles de champs d'épis de blé flamboyant défilent sous nos pieds. Véritable miroir de l'astre solaire haut au-dessus de nos têtes, les couleurs étincelantes m'obligent à plisser les yeux. Ce diaporama m'irrite la rétine peu habituée à côtoyer autant de luminosité. Les collines abritent quelques bêtes domestiquées qui ne semblent pas perturber par ce défilé aérien d'inconnu et continuent de brouter ce feuillage fraîchement humidifié par la rosée matinale. Un immense courant d'eau déferle en contrebas et vient trancher la surface terrestre pour terminer son trajet dans la mer agitée.

Subjuguée par l'immensité de ce déploiement azur, calme et redoutable à la fois, j'immobilise ma monture en position statique, le reste de l'escouade m'imitant à la plus grande peine d'Isidora. Cette abondance infinie est l'unique rempart physique entre notre continent et l'Archipel. En bordure de côte, sur un pan de montagne graveleuse se dresse fièrement le château royal tourné vers l'horizon. Véritable cible des vagues s'écrasant avec fracas sur le calcaire émoussé, la demeure royale s'impose dignement et nargue quiconque viendrait perturber la tranquillité de ses terres. C'est donc celà que ma mère a pu admirer. L'impatience me guette et j'ai hâte de m'abreuver de ses récits, de découvrir la poésie de sa calligraphie et d'y imprimer les images qui me font face.

Nous décidons d'achever cette bulle onirique et finissons le trajet à pied afin de ne pas alerter inutilement les gardes. Nous traversons un interminable pont suspendu en granite brut, qui mène aux portes de la cité. Isidora jette des coups d'œil alarmés à l'arrière de la troupe lorsque les gargouilles parviennent au pont aérien, sa main, fermement cramponnée aux cordages qui entourent la passerelle. Notre traversée est accompagnée de la douce mélodie des eaux tranquilles qui s'écoulent sous nos pieds et d'un chaotique fracas de roches provoqué par les familiers. On repassera pour la discrétion de notre arrivée.

L'obstacle franchi , Isidora piétine à plusieurs reprises le sol graveleux comme pour s'assurer de sa solidité, ce qui provoque les rires des soldats à nos côtés.

Deux étendards fichés sur le côté des hauts vantaux en bois massif de chêne clair, encadrent les gardes et leur monture équestre. Ces derniers s'ébrouent face à nos imposants domestiques ailés rester en retrait.

- Halte ! Qui va la ?

Contemplant l'horizon, Alistair prend la main en poursuivant l'échange comprenant que je ne prendrai pas la peine de m'adresser à ces étrangers. Derrière cette barrière humide se tiennent nos ennemies, si proches et si inatteignables. Ceux-là même qui se terrent sur leur Archipel et n'apparaissent que pour semer le chaos. Je sens à travers mes veines mon pouvoir pulser bruyamment à mesure que ma rancœur enfle. D'étranges picotements perturbent mon épiderme et des volutes incontrôlables de fumée filandreuses noires s'échappent de mes paumes. Le regard suspicieux du chef des troupes m'indique que mon trouble ne lui a pas échappé.

- Nous avons longuement voyagé pour venir jusqu'ici, sa Majesté a besoin de repos.

S'agit-il vraiment de mon état de fatigue qui bouleverse mes amies indomptables ? Soucieuse, je frotte mes mains sur mes hanches et expire un filet d'air coincé, afin d'apaiser le feu qui bout en moi.

Tout va bien, nous y sommes enfin. Je marche enfin sur les traces de ma mère.

Les minutes s'égrènent et le garde revient d'un pas pressé, ouvre les portes du royaume et nous indique que la couronne nous attend devant le château royal. L'un d'eux escorte Delyan et nos domestiques, trop corpulents pour traverser la ville avec nous. Alistair m'indique qu'un de nos soldats les accompagnent vers les fermes que nous avions aperçus lors de notre vol.

- Je vous prie d'accepter nos excuses pour l'attente, votre venue n'était pas prévue nous informe le soldat le plus trapu des deux.

Les maisonnées aux teintes pures s'enchaînent et les badauds s'attardent sur l'étrangeté de mes cheveux attachés en une longue tresse, n'osant croiser mon regard. Je les vois s'attarder dessus, une femme tenant un étal de fruit s'arrêtant même de discuter avec sa voisine de commerce pour lui signifier ma présence. Les deux plaquent simultanément leur main sur leur mâchoire grande ouverte de... surprise. N'ont-ils jamais aperçu de personne issues d'autres royaumes?

Ombre solitaire : une vie de mensonges.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant