Chapitre 8 : ALLO MAMAN BOBO

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2 décembre 2021, 23 : 18

Respire, Sasha.

Je sais bien qu'Harry ne pensait pas à mal, à vrai dire c'est même plutôt logique de supposer qu'une femme enceinte ait un partenaire. Et ça m'énerve de laisser ce genre de commentaires m'atteindre autant. Je ne peux pas perdre les pédales à chaque fois que quelqu'un mentionnera ma grossesse, bonjour la stabilité émotionnelle.

Mme Da Costa m'a dit la dernière fois qu'il était normal que je ressente des débordements émotionnels par moments, qu'une grossesse était synonyme de nombreux « réaménagements psychiques », d'autant plus dans mon cas.

Elle m'a aussi expliqué que, lorsqu'une femme apprend qu'elle va devenir mère, inconsciemment, elle se met à penser à la petite fille qu'elle a été, à sa relation avec sa propre mère.

Qui n'a pas déjà pensé « moi je ne ferai jamais comme ça avec mes enfants, je ne reproduirai pas les erreurs de mes parents » ?

A bien y réfléchir, je ne peux pas dire que ma mère soit vraiment une référence en termes de parentalité réussie. Je n'ai pas été maltraitée, frappée, humiliée. J'ai toujours eu un toit sur ma tête et le ventre plein. Je ne saurai vraiment expliquer pourquoi ni comment, ma mère m'a toujours semblée trop sous l'emprise de ses propres problèmes pour pouvoir s'intéresser aux miens.

J'ai toujours eu ce sentiment d'être un peu transparente avec elle. Elle pouvait me couvrir de cadeaux, me faire des déclarations d'amour à en faire pâlir Shakespeare, au bout du compte, tout a toujours tourné autour d'elle.

Avec le recul qu'on acquiert en grandissant, j'ai appris à développer une forme de compassion pour elle. Elle n'a pas eu un parcours facile : abandonnée par son père à la naissance, élevée par une mère un peu trop portée par la bouteille, elle n'a pas gagné à la loterie des naissances.

Mais au fond, une part de moi garde un peu de rancœur. Parce que, ce que je suis capable de comprendre et d'encaisser aujourd'hui, la Sasha de 6 ans ne l'était pas. Celle-là se croyait responsable des malheurs de sa mère, oubliait d'être une petite fille insouciante pour essayer d'être parfaite pour lui plaire.

C'est pour cette raison que j'ai toujours pensé que les gens ne devraient pas faire d'enfants avant de s'être soignés eux-mêmes. On ne peut pas fabriquer un être totalement dépendant de soi quand on est incapable de mettre de l'ordre dans sa vie. C'est injuste d'imposer ça à un enfant qui n'a même pas demandé à venir au monde.

Et pourtant, me voilà avec un bébé dans le ventre. C'est comme si l'univers voulait me faire passer un message, mon karma qui me revient en pleine figure pour avoir fait des leçons de morale à mes parents.

La porte du bar claque et m'extirpe de mes pensées. C'est Samuel qui a visiblement été mandaté pour vérifier que je n'avais pas encore passé l'arme à gauche. Pas d'inquiétude, je suis toujours vivante.

« Je ne veux pas te déranger - je me permets de te tutoyer si ça te va, je trouve que le vouvoiement devenait un peu trop formel - mais je tenais à m'excuser au nom d'Harry » me dit-il, timidement.

« C'est gentil, il ne faut pas qu'il culpabilise. C'est moi qui surréagis, j'ai encore un peu de mal à m'adapter à toute cette nouveauté » répondai-je.

« C'est normal, je pense que n'importe qui ferait pareil dans ton cas. Val nous a expliqué. Je peux pas prétendre savoir ce que tu traverses, mais si tu as besoin d'un confident, je suis là. Des fois c'est presque plus facile de se livrer à un parfait inconnu ».

Samuel me propose d'aller faire une petite balade nocturne et je lui déballe toute l'histoire. Depuis le moment où il m'a déposée à l'hôpital jusqu'à ce soir. Je ne sais pas comment, mais sa présence rassurante me donne envie de lui faire confiance. Il ne parle pas, il m'écoute simplement lui raconter mes doutes, mes peurs, mes colères. Et c'est exactement ce dont j'avais besoin : une oreille attentive.
Je me sens à l'aise, je n'ai pas peur d'être jugée. Et puis de toute façon, je ne le reverrai probablement jamais de ma vie.

Je ne sais pas si c'est ce à quoi Mme DA COSTA faisait référence en parlant des fameux « réaménagements psychiques », mais je me sens comme libérée d'un poids.

Finalement, nous atterrissons sur les quais de Seine. Les lumières de la ville se reflètent dans l'eau, quelques bouteilles qui trinquent et une légère brise : on se croirait dans une comédie romantique de Noël. Du style Amanda, trentenaire carriériste et malchanceuse en amour qui, alors qu'elle retourne dans son village de naissance pour les fêtes, recroise le beau Jordan, son ami enfance qui fait désormais du bénévolat dans un hôpital pour enfants et du bucheronnage à ses heures perdues.

« Alors, maintenant que tu connais toutes mes angoisses existentielles, raconte-moi quelque chose d'intime à propos de toi ! Histoire que je me sente un peu moins ridicule... un peu de solidarité monsieur le pompier ! » suppliai-je Samuel, tentant maladroitement de détendre l'atmosphère pesante que j'avais instaurée.

« Parce que l'anecdote du string c'était pas suffisant dans le genre intime ? » me rétorque-t-il, un rictus aux lèvres.

« Je ne t'ai pas demandé tes exploits en matière de drague de pauvre mère célibataire en détresse, à ce que je sache. Non, je veux que tu me racontes que tu as fait pipi au lit jusqu'à tes douze ans, que tu dors encore avec ton doudou Lapinou, que t'as été traumatisé la première fois que t'as vu Bambi. Qu'on soit à égalité sur le podium de la honte, quoi ! » je lui lance, sûre de moi.

J'ai peut-être une carrière d'humoriste à lancer parce que ma réponse le fait exploser de rire.

« Si tu veux faire ta psychanalyse ce soir, avec plaisir, mais moi je suis un homme tout à fait équilibré Madame ! » me dit-il, amusé.

Je lui fais les gros yeux pour lui signifier que je ne crois pas à cette version du prétendu « monsieur parfait ».

« Bon ok, j'avoue, j'ai peut-être pleuré devant Rox & Rouky quand ma nièce me l'a montré la semaine dernière. Mais c'est tout, ça s'arrête là. Et ne t'avise pas de l'utiliser contre moi devant les collègues, j'ai une réputation à préserver ! » confesse-t-il, d'un ton ironique.

« Rox et Rouky ? Oh la la, pauvre chou ! C'est vrai que ça fait peur dis donc ! » dis-je avec une voix volontairement infantilisante.

« Je savais que tu te moquerais ! Excuse-moi d'avoir un cœur, d'être sensible au sort de Rox qui se retrouve abandonné en pleine forêt, sans ses repères ni son meilleur ami ! Je crois que tu ne réalises pas bien l'ampleur du drame ! »

Nous pouffons de rire. Je n'avais pas décelé ce potentiel humoristique chez Samuel, lui qui paraissait toujours si sérieux et plein de retenue.

Finalement, il me raccompagne jusque devant chez moi. J'ai envoyé un texto à Val pour lui dire de poursuivre la soirée sans moi et excuser mon absence auprès des autres.

« Merci pour ce soir. Et merci de m'avoir raccompagnée », lui lançai-je, timidement.

« Ce fut un honneur de pouvoir vous servir Madame » me répond Samuel, en imitant le salut militaire.

Tandis que je pianote le digicode de mon immeuble, ilrepart et s'enfonce dans la pénombre de l'avenue perpendiculaire.

J'ouvre la porte d'entrée et m'affale sur mon canapé avec la grâce d'uncachalot. Je ressasse les moments de cette soirée riche en émotions, un sourirebéat aux lèvres. C'était chouette.

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N.A : Alors, votre avis sur cette complicité naissante entre Sasha et Samuel ? Et la mère de Sasha, on en pense quoi ?

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A SUIVRE...(prochain chapitre publié le 08/10)

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