4 décembre 2021, 9 : 57
TD de droit pénal international. Je n'avais pas mis les pieds à la fac depuis 3 semaines, inutile de préciser que le réveil à 7 heures et l'odeur de pisse qui règne dans les couloirs ne m'avaient pas manqués.
Mais je ne peux pas vraiment me permettre de continuer à me laisser aller indéfiniment. D'une part parce que j'aimerais ne pas finir ma vie dans une ruelle désaffectée à dealer pour joindre les deux bouts, d'autre part parce que je l'aurais sacrément mauvaise d'avoir bossé comme une acharnée pendant 3 ans pour rien. Et accessoirement aussi parce que la machine à café de la fac et ses lattes vanille à 50 centimes sont indispensables à ma survie.
Monsieur Lefevre, fidèle au poste, nous présente le sujet du jour « Etude de cas : Le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie contre Slobodan Milosevic ». Affublé de son costume vert sapin en velours côtelé, ce petit bonhomme d'un 1 mètre 60 a toujours fasciné les étudiants de la Sorbonne.Son cours est un des plus prisés, et j'ai de la chance d'y avoir eu une place. Les tirades de Monsieur Lefevre sont dignes d'une tragédie de Racine : il peut vous expliquer pendant deux heures pourquoi et comment « l'indéfendable n'existe pas ». Des fois je me demande presque s'il n'a pas loupé sa vocation. Il aurait fait un excellent prof de philo.
Je m'apprête à entamer mes recherches quand mon acolyte débarque, les joues rouges, essoufflé et avec un quart d'heure de retard...« Bah alors, qu'est-ce qui t'a mis dans cet état mon petit Paul ? Encore à fricoter avec le pompier, je parie ! » lui dis-je en guise de salutation.
« Alors là, je ne sais pas si tu es la mieux placée pour me faire la leçon – Madame je mets le grappin sur Samuel ! » me répond-il, pas peu fier de sa répartie.« N'importe quoi. Il ne s'est rien passé avec Sam. Et puis de toute façon, niveau mecs, je crois que mon ventre de femme enceinte est le répulsif le plus efficace qui existe » répondais-je, très terre à terre.
« Bientôt tu vas me dire que c'est purement amical, ben voyons ! D'ailleurs tu risques de le recroiser dimanche. Et cette fois-ci, je vous aurai à l'œil ! »
« Dimanche ? » demandai-je d'un air surpris.
« Oui, dimanche, tu sais, l'escape game. Me dis pas que t'as oublié ! »
Je ne réagis pas, essayant de sonder ma mémoire pour me souvenir du moment où j'ai supposément donné mon accord pour une telle activité.« Ah non, tu te défiles pas ! C'est déjà réservé de toute façon. Tu viens avec nous, même si je dois t'y trainer de force ! » renchérit Paul.
« Maltraiter une pauvre femme enceinte et vulnérable, non mais t'as pas honte ! », je le taquine.
« Si tu veux me lancer sur le sujet de la maltraitance, j'ai des preuves qui me portent à croire que tu n'es pas vraiment irréprochable sur le sujet. T'as oublié le 12 juin, 4h45 du matin, en sortie du Duplex quand tu as vomi sur mes mocassins tous neufs ? Je peux te dire que cette odeur risque de me hanter jusqu'à la fin de mes jours. Et pour la faire partir, j'ai enduré une forme de supplice que je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi ! »
Paul, le dramaturge au sommet de son art. Je crois que cette histoire va me suivre pendant un moment. Bon, j'avoue, ce n'était pas mon plus grand moment de gloire. Mais, franchement, qui n'a pas déjà eu une fin de soirée un peu compliquée ?
Tandis que nous continuons à papoter comme deux amis qui se retrouvent au café, Monsieur Lefevre nous interpelle :
« Eh oh ! Tic et Tac au troisième rang, je vous dérange pas trop ? Peut-être préfèreriez-vous que j'aille faire cours ailleurs ? »
Nous nous taisons instantanément, comme deux enfants pris la main dans le sac, mais je ne peux m'empêcher de sourire en croisant le regard de mon ami.
J'ai l'impression d'être de retour au collège, en cours d'espagnol, quand la prof nous fusillait du regard parce qu'on était pris d'un fou rire, Val et moi : « Mademoiselle Molino, faites-en nous profiter, faites-donc part à la classe de ce qui vous amuse tant, puisque je doute fort que ce soit la leçon de Frida Kahlo qui vous mette dans un tel état ! ».
Je vous laisse imaginer sa tête quand je me suis retrouvée contrainte de lui expliquer qu'elle avait du papier toilette accroché à sa jupe depuis le début du cours.
Il y a certaines choses qui ne changeront jamais.
Paul et moi entamons avec le plus grand sérieux notre étude de cas, tandis que Monsieur Lefevre continue à déblatérer pendant deux heures.
A la pause déjeuner, nous nous installons avec un groupe de copains de licence. Dans le brouhaha généré par quelques centaines d'étudiants, difficile de s'entendre. Les uns sont préoccupés par le choix de leur sujet de mémoire de fin d'études, les autres se demandent s'ils ne vont pas tout plaquer pour aller élever des moutons en Auvergne. Je ne sais pas vraiment où me situer.
Depuis que je suis enceinte, les problèmes des gens de mon âge me semblent dérisoires. C'est comme si j'avais pris dix ans d'un coup, et que les autres étaient restés bloqués à la phase étudiante.
Maintenant, mes préoccupations ne tournent plus autour de ma prochaine destination de vacances ou de ma note au partiel de droit des affaires publiques. Je dois penser pour deux, manger pour, vivre pour deux. Je ne peux plus me contenter de prendre des décisions sur un coup de tête, j'ai la responsabilité d'un autre être humain entre mes mains.
Parfois ça me fait peur, j'ai l'impression que ma jeunesse est définitivement morte et enterrée à cause de ce bébé. Qu'en devenant experte en changement de couches et réchauffage de biberons, c'est comme si je devais dire adieu à toute ma spontanéité et ma joie de vivre.
J'ai peur de devenir une de ces jeunes mamans chiantes qui ne parlent que de leur « petit trésor », s'extasient devant leurs moindres faits et gestes et s'indignent si leur entourage ne s'émerveille pas devant les babillages de Mathéo.
Enfin, en réalité, en arriver là serait presque une bonne nouvelle. Ça voudrait dire que je suis heureuse et épanouie en tant que mère, ce qui n'est pour l'instant absolument pas acquis.
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N.A : Alors, votre avis sur le cours de Monsieur Lefevre ? Ça vous parle les fous rires au collège en cours d'espagnol ?
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A SUIVRE ...(prochain chapitre publié le 11/10)
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Le hasard fait bien les choses
ChickLit« Mademoiselle Molino, ce que je vais vous annoncer risque de vous mettre en état de choc : vous êtes enceinte de 5 mois ». " J'entends encore résonner ces paroles dans ma tête, sans que je puisse vraiment leur donner un sens. Enceinte. Moi. Un béb...