Chapitre 5

85 14 2
                                    


Eli se laissa mollement glisser contre la porte de sa chambre. Dire qu'il angoissait était un euphémisme. Il n'était qu'angoisse. Pas un jour ne passait sans qu'il ne stresse, sans qu'il ne se pose de questions. A vrai dire, ça n'allait pas. Ça n'allait jamais. Parfois, il aimerait être comme son père humain. Ne posséder aucun pouvoir surnaturel. Ne pas être un loup-garou. Être simple. Ne pas tout entendre. S'il pouvait esquiver la séance du matin, Eli ne pouvait pas couper à celle du soir.

Il percevait toujours tout en ce qui concernait son ouïe. Les mots. Les souffles. Les battements de cœur. Les frottements. Techniquement, il pouvait se brider et la plupart du temps, il y arrivait, mais... Jamais quand l'humain amenait le loup dans la salle de bain pour s'occuper de lui. Dans ces moments-là, Eli déployait son ouïe malgré lui. Comme s'il devait tout entendre... Sans vraiment le vouloir. En fait, c'était quelque chose qu'il peinait à contrôler car, bien sûr, il y avait des fois où il arrivait à se couper du monde, à ne rien écouter. Ecouter de la musique ne fonctionnait même pas ! Car Eli, trop angoissé, n'était pas capable de rester trop longtemps isolé de ce qu'il pouvait entendre. Dans un sens, il avait besoin de savoir si tout allait bien. Et si son père-loup faisait un malaise ? Et si son père-humain paniquait ? Alors, il faudrait qu'Eli prenne le relais. Le jeune homme se tenait prêt... Tout en sachant qu'il serait tétanisé si la chose arrivait et que Stiles gèrerait la situation d'une main de maître. C'était ce qu'il faisait toujours. Avec les années, l'hyperactif avait acquis un sang-froid incroyable et si Eli arrivait parfois à percevoir quelques bribes d'émotions, Stiles faisait en sorte de se contrôler. Il mettait certains ressentis de côté pendant une période de temps donnée. Eli le sentait. Eli le savait.

Mais il n'allait jamais lui faire la remarque. Non, il n'allait jamais lui dire que, parfois, il sentait son masque se briser. Qu'il lui arrivait de se retrouver assailli par une douleur qui n'était qu'un reflet de la sienne... Un reflet peut-être plus puissant encore.

Et ça, ça le terrifiait.

Eli n'était pas bête : il savait que l'incroyable résistance de Stiles n'était pas éternelle. Elle durait et durerait un temps, jusqu'à ce qu'elle se brise en mille morceaux. Le jeune loup entrevoyait déjà les premières fêlures de cette catastrophe. Le pire dans tout cela ? C'est qu'il se pensait incapable d'aider, incapable d'arranger la situation. Que se passerait-il lorsque le bouclier qu'était son père humain tomberait ? Toute leur famille s'effondrerait. Car Eli n'était... Pas fort, pas comme l'était Stiles. Il ne saurait pas assurer auprès de Derek. Il serait juste... Là, à contempler la fin de sa déchéance. Cette déchéance qu'il ne méritait absolument pas. Car son père loup n'aurait jamais dû se retrouver dans une telle situation. Alors lorsqu'il sentait parfois la colère dans l'odeur de Stiles, il la comprenait. Car lui aussi en voulait à la terre entière de lui avoir arraché l'un des deux êtres qui l'avait mis au monde. Derek était encore vivant physiquement, mais... Une partie de son âme avait été consumée. Elle ne se régénèrerait jamais.

Et le problème avec ça, c'était qu'Eli avait l'impression de ne plus le reconnaître. En fait, pour lui... Derek était devenu comme un étranger, un homme qu'il connaissait à peine, tout simplement parce qu'il n'était plus que l'ombre de celui qu'il avait été. Cette force de la nature... Dont l'écorce protectrice avait été durement arrachée, laissant la chair à vif, à la merci de tout. Et doucement, elle nécrosait. Eli était en train de lentement perdre son père et il n'arrivait pas à l'aider. S'approcher de lui ? C'était difficile. A vrai dire, le jeune loup ne supportait plus cette souffrance qui ne quittait plus son regard, et ces absences récurrentes qui l'éloignaient davantage de lui. Parce qu'Eli y était vraiment sensible et que... Réaliser qu'il le perdait était suffisamment difficile comme cela. A sa manière, il se protégeait... Comme il le pouvait. En lui faisant du mal malgré lui. D'un autre côté, Eli se voyait mal lui imposer sa présence et son propre mal-être. Derek souffrait assez comme cela. Pas besoin qu'un fardeau supplémentaire ne vienne l'alourdir.

UsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant