Chapitre 7

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Stiles courait souvent après la solitude mais lorsqu'elle se présentait à lui, il n'avait pas suffisamment de courage pour prendre cette main qu'elle lui tendait.

Derek dormait. Après un réveil mouvementé, il avait une nouvelle fois cédé à l'appel incessant de cet épuisement qui ne le quittait pas. Il lui était par conséquent impossible de percevoir le moindre bruit extérieur, d'autant plus que depuis ces quelques mois, il avait le sommeil particulièrement lourd. Une fois qu'il plongeait, difficile de l'en sortir. A côté de cela, Eli vagabondait avec Peter, Stiles ne savait où.

Il avait donc, techniquement, le champ complètement libre pour appeler Isaac et se décharger un peu car chaque conversation qu'ils avaient lui faisait du bien. Son ami lui mettait du baume au cœur, l'encourageait dans chacune de ses démarches, faisait en sorte de lui remonter le moral au maximum... Il s'agissait d'un soutien très précieux qui l'empêchait de suivre Derek dans sa déchéance lente, de sombrer complètement à son tour. De fait, Isaac était également le seul ami qu'il avait réellement gardé auprès de lui, les autres l'ayant particulièrement déçu. Comme lui, boucle d'or n'avait pas été informé de la situation à Beacon Hills : comme lui, il avait appris que la mort avait manqué de peu d'emporter un être qui lui était particulièrement cher.

Mais Stiles ne réussit pas à se résoudre à se saisir de son téléphone pour passer ce fichu coup de fil. Rien ne l'en empêchait, rien du tout. Et pourtant, l'hyperactif le rangea dans sa poche sitôt après qu'il l'en eût sorti. Il avait ce besoin aussi étrange qu'irrépressible de se savoir complètement disponible pour son homme dont l'état variait si souvent et si rapidement qu'il lui était impossible pour lui de savoir à quoi s'attendre. Quand Stiles parlait à Isaac, il lui fallait savoir que l'on n'avait pas besoin de lui ailleurs, qu'il avait tout le temps de parler devant lui. C'était notamment le cas lorsque Peter passait de temps à autres, à la différence que cette fois-ci, il restait à l'extérieur avec Eli. Stiles repensa malgré lui à la petite surprise avortée par cette venue. Même s'il savait que ce n'était que partie remise, il avait les glandes. En fait, il en avait... Besoin aussi. De changer d'air, de passer un moment avec sa famille au grand complet sans devoir faire face à l'absence des deux hommes de sa vie, l'un prisonnier de ses cauchemars, l'autre des conséquences de l'état du premier. Ainsi, Stiles décida de rester au chevet de Derek. Il se prit un livre, de quoi s'occuper en attendant son prochain réveil dont il ne pouvait prévoir l'imminence potentielle. Il avait comme... L'obligation de se savoir là, prêt à agir à la seconde où Derek reprendrait conscience. A adapter son comportement et sa comédie en fonction de son état. A être doux, rassurant, ou un peu plus naturel. Parce que parfois, Derek se réveillait tranquillement, sans avoir été en proie à un cauchemar la seconde d'avant. C'était rare, mais ça arrivait. Et ces moments-là, Stiles les savourait autant que possible. Ainsi, il pouvait de temps à autres passer quelques minutes réellement avec lui sans se poser de questions, avec le sourire aux lèvres, et celui de Derek contre sa peau.

Mais il ne se leurrait pas pour autant. Ces instants d'éternité ne faisaient pas partie de la norme. Pire encore, ils se raréfiaient chaque semaine qui passait. Le temps les bouffait, comme il rongeait Derek. Néanmoins, en éternel optimiste, Stiles avançait, pour la simple et bonne raison qu'il croyait dur comme fer en la guérison de son compagnon. Elle prendrait le temps qu'elle prendrait, mais il serait toujours là pour la stimuler. Certes, Derek en était arrivé au point où il lui était incapable de vivre et de se débrouiller seul : ce n'était cependant pas ça qui irait décourager Stiles, lui faire abandonner le combat, loin de là. Alors même si c'était dur, même si le voir se perdre un peu plus chaque jour lui miner le moral, il ne laisserait pas tomber, dusse-t-il donner sa santé mentale pour sauver la sienne.

Ainsi passa une partie de la journée. Stiles ne fit pas grand-chose, si ce n'est le réveiller aux alentours de midi pour qu'il mange. L'humain tenait à ce que son compagnon loup continue de vivre le plus normalement possible – il faisait en sorte de ne lui faire manquer aucun repas. Si son esprit n'avait plus de forces, son corps continuait d'en amasser. Selon Stiles, a minima l'un des plans devait tenir le coup, histoire d'aider l'autre à s'accrocher... Mais peu de temps après le repas, Derek s'endormit en regardant un film sur le canapé. A côté de son compagnon qui, la mâchoire serrée, digérait au mieux ce quotidien qui commençait à peser lourdement sur ses épaules. Ce n'était pas le fait qu'il ne puisse plus vraiment partager de moment réellement heureux avec son mari qui le minait... Il s'agissait plutôt de sa chute à l'air infinie. Comme si le loup-garou sombrerait quand même, quels que soient les efforts de l'humain pour le maintenir à flot. Si la chose s'avérait toujours plus déprimante chaque jour qui passait, Stiles continuait de se battre à sa manière, sans en donner l'impression à Derek. Il ne voulait pas lui montrer à quel point c'était dur pour lui, de sorte à lui éviter de se sentir coupable – disons que Hale n'avait pas besoin de ça. Après avoir constaté son assoupissement avec la tête posée sur son épaule, Stiles resta là quelques minutes. Les yeux rivés sur la télévision, il ne se laissait pas happer par la moindre image qui passait. En fait, il ne suivait plus depuis un moment déjà, perdu dans les méandres de son amour douloureux. Pour le meilleur et pour le pire se révélait être l'adage avec le plus de sens, selon Stiles. Il ne regretterait jamais son mariage, son union éternelle avec Derek.

Stiles en voulait cependant à la vie de leur avoir réservé un sort si cruel. Car si elle avait détruit Derek, la déchéance de celui-ci faisait s'effondrer la famille si particulière qu'ils formaient. Pour être honnête, Stiles ne savait pas s'il tiendrait sans son compagnon. Il aimerait se dire assez fort pour se savoir là pour Eli si cette tragédie avait lieu... Mais si l'hyperactif devait être honnête et complètement transparent, il n'en était absolument pas certain. Rien ne garantissait que son âme y survive, elle qui s'était inextricablement liée à Derek des années plus tôt. Dans le monde lupin, on disait qu'une union comme la leur était à double tranchant. Elle comblait de bonheur les deux parties à un point inimaginable mais si l'un des deux êtres unis mouraient, le second tendait à suivre, incapable de se remettre de la disparition de sa moitié. Ou alors, il perdait la tête – et Stiles était d'avis qu'aucune des possibilités n'était enviable à l'autre. Alors il espérait, redoublait sans cesse d'efforts pour qu'ils y survivent tous les deux et... Pour ne pas laisser Eli derrière. Ça aussi, c'était dur : le fils, autant que le père, avait besoin d'attention.

Finalement, peut-être que la visite de Peter n'était pas si mal. Eli appréciait grandement son grand-oncle – leur escapade ne pouvait que lui faire du bien. Des heures d'un grand bol d'air frais, hors de cette maison dans laquelle la lourdeur régnait. Si Stiles en avait plus que conscience, il ne savait pas comment faire pour rendre l'existence de son fils plus légère, plus... Facile. Disons qu'il lui fallait de l'énergie pour chercher efficacement une solution le concernant... Et il peinait à en avoir assez pour garder sa comédie intacte pour les moments où il pouvait en avoir besoin. Puisque Derek dormait, le relâchement était de mise. Maintenant, restait à savoir quand Eli comptait rentrer – et Stiles tablait sur la fin de journée. Un peu avant l'heure du repas, peut-être.

Stiles devait donc profiter de son absence et du sommeil lourd et récurrent de Derek pour lui-même recouvrer des forces, de sorte à assurer en temps et en heure pour dissimuler au mieux ses propres blessures.

Et pour cela, il ne devait pas rester sans rien faire. Caresser les cheveux de Derek était une activité passionnante et des plus agréables, mais il devait s'occuper l'esprit... Soit réaliser quelque chose d'utile, soit s'exercer à une activité qu'il appréciait. Lire ? Déjà fait. Nettoyer la cuisine ? Elle était déjà propre comme un sou neuf. S'occuper du repas de ce soir ? Trop tôt. Enfin, il devait déjà commencer par se lever, et c'est ce qu'il fit, en installant notamment mieux son compagnon sur le canapé, de sorte à ce qu'il dorme dans une meilleure position. Faire en sorte que sa tête repose sur un coussin confortable. Enfin, il étala un plaid sur son corps massif.

Et c'est à ce moment précis que la sonnette de la maison retentit. Brusque, inattendue, presque violente, au point que Stiles manqua de sursauter. Il regarda Derek, vérifia que le bruit strident ne l'avait pas réveillé – ça allait, il était trop épuisé pour s'éveiller aussi facilement. Puis il se dirigea vers l'entrée, les sourcils légèrement froncés. L'on ne sonnait pas souvent, ici. La maison de la petite famille Hale-Stilinski se trouvait dans un coin tranquille, pas trop loin de la ville, pas trop près non plus. Ainsi, les voisins ne couraient pas les rues et le foyer avait suffisamment d'intimité pour ne pas craindre que l'on se doute de la nature de deux de ses membres – l'autre conservant encore aujourd'hui sa nature humaine sans désir d'en changer. Ainsi, Stiles se demanda bien qui pouvait bien avoir sonné. Il ne s'agissait certainement pas de Peter : il se trouvait avec Eli, qui avait les clés en sa possession. Qui, alors ? La famille Hale-Stilinski n'avait aucun voisinage proche...

Alors oui, Stiles tomba des nues lorsqu'il ouvrit la porte d'entrée de la maison.

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