Chapitre 11

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- Je passe mes jours et mes nuits à essayer de garder la tête de mon mari et de mon fils hors de l'eau. Il ne se passe pas une minute sans que je pense à eux. Je suis le seul à tenir le coup, Isaac. Penser à moi, à me mettre au premier plan... C'est futile.

Les mots sortaient de la bouche de Stiles à contrecœur, comme si les prononcer revenait à leur donner davantage de sens, ce qui était finalement le but d'Isaac. Ce dernier l'écoutait d'ailleurs religieusement, hochant légèrement la tête de temps à autres sans l'interrompre.

- En soi, je vais bien, continua Stiles en regardant ailleurs, l'air absent. Je... Je n'ai aucune raison de me plaindre. Je n'ai pas brûlé vif et je n'ai pas vu mon père brûler vif. J'ai juste su. Et je n'étais pas là. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?

Tout, ne dit pas Isaac – mais il le pensa très fort. Ce qu'il entendait là, c'était déjà un début. Si Stiles se confiait à lui de temps à autres, il s'étalait toujours le moins possible quant à ses ressentis et ce que toute cette histoire lui faisait. Il lui parlait, oui, mais axait souvent le plus gros de la conversation sur les deux amours de sa vie.

Cette fois-ci se montrait déjà un peu différente puisqu'Isaac avait insisté comme jamais, dans le sens où cela ne lui arrivait en général pas. Par respect, il ne faisait généralement rien de plus que l'écouter et lui donner quelques conseils. Il partait du principe que Stiles se gérait à peu près et qu'il savait ce qu'il y avait de mieux pour lui. Or, il découvrait en ce jour que non.

C'était dingue comment une communication téléphonique supprimait des informations pourtant essentielles. Le réel lui apportait beaucoup... Et lui montrait un Stiles au bord du gouffre, qui avait besoin qu'on fasse attention à lui, ne serait-ce que pour lui permettre de se remettre en selle. Bordel, il fallait vraiment qu'il passe plus souvent. La famille Hale-Stilinski vivait loin des grandes villes : et Isaac, loin de leur campagne. Enfin, le temps était aux compromis, aux concessions. Qu'importe les heures qu'il perdrait à conduire pour venir, l'essence qu'il cramerait.

L'amitié, ça n'avait pas de prix. Celle qu'il entretenait avec Stiles, encore moins. Et c'était là qu'il se rendait compte du fait qu'il n'était pas assez présent pour lui... Le pire ? Se rendre compte du fait que l'humain lui-même était très seul, souvent livré à lui-même face aux malheurs qu'il se devait d'affronter – tout en maintenant deux vies à bout de bras.

- Tes blessures à toi, elles sont là, fit Isaac en pointant sa tête du doigt. Elles ne se voient peut-être pas directement, mais tu ne peux pas faire comme si elles n'existaient pas.

- Comme tu dis, elles ne se voient pas, releva Stiles d'un air fatigué.

- Celles d'Eli non plus, et pourtant tu t'occupes des siennes, lui rappela le loup-garou. Une blessure n'est pas plus ou moins grave selon si elle est physique ou non. Elle est ce qu'elle est, Stiles. La dénigrer, l'ignorer... C'est la faire grandir, la transformer. C'est ce que tu empêches de se produire chez Eli.

Stiles eut un réflexe étrange, qu'il n'avait que lorsqu'il était nerveux : se ronger légèrement un ongle avant de tenter de se recoiffer à outrance tout en sachant fort bien que ses cheveux ne tiendraient pas. Ils ne lui avaient jamais obéi de sa vie, ce n'était pas demain la veille que cela changerait.

Le fait est qu'Isaac sut qu'il avait visé juste et que Stiles comprenait ce qu'il disait rien qu'en faisant attention autant à sa gestuelle qu'à son attitude.

Et il détesta ce fait.

- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Articula-t-il, la gorge serrée.

Ces mots, ils avaient du mal à sortir, et pas seulement à cause du désespoir qu'ils traduisaient. Ils étaient le reflet même de l'état de la psyché de Stiles. « Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? » et « Qu'est-ce que tu veux que je fasse ? » étaient des questions que l'hyperactif ne posait jamais en temps normal. Ils étaient l'ultime recours face à une aide qu'il pensait ne pas vouloir et à laquelle il n'était même pas certain d'avoir droit. Sa souffrance, il la niait pour survivre et permettre aux deux hommes de sa vie de faire de même. Alors pourquoi cela ne fonctionnait-il pas ? Il avait réussi à s'en sortir jusqu'à maintenant mais il savait que cette technique avait ses limites. Elle les lui montrait ce jour. Stiles poussa un soupir des plus profonds et se fustigea intérieurement. Sa gorge se serra davantage, ses yeux le piquèrent.

Voilà pourquoi il ne contactait pas souvent Isaac alors qu'il avait bien plus d'occasions de le faire qu'il ne voulait se l'avouer. Parce que lui parler, c'était être honnête et prendre le risque d'en arriver là. A écouter ce qu'il ne devrait pas entendre. Isaac ne devait pas légitimer sa douleur, auquel cas elle gagnerait un pouvoir monstrueux avec le temps. L'ignorer, c'était en réduire l'importance. Avancer malgré elle. Marcher, sans jamais se stopper, un boulet accroché à la cheville et dont le collier était serré si fortement qu'il commençait à entailler la peau.

Stiles reconnut tout de suite l'émotion qui, si elle était déjà là depuis un moment, prenait grassement ses aises jusqu'à s'étaler de tout son long en lui. Elle serrait sa gorge à outrance. L'empêchait de respirer librement. Faisait monter à ses yeux des larmes qui faisaient déjà tout pour ne pas exister. Stiles mit ses mains sur son visage et se donna de très légères claques, un peu comme s'il cherchait à se réveiller. Ce qu'il cherchait à faire disparaître s'ancra davantage.

- Tu m'excuseras, souffla-t-il, je reviens.

Continuer cette discussion, il n'en avait pas envie. Alors, il se leva, baissa la tête et se tourna, cachant juste à temps les premières larmes qui apparaissaient enfin, libres de leurs mouvements. Il prit sur lui pour sortir du salon d'un pas tout à fait normal – ni trop lent, ni trop rapide. Avec un peu de chance, Isaac n'avait pas perçu la fragrance salée de son émotion. Avec un peu de chance, il n'avait pas compris. Stiles avait besoin d'être seul trois minutes. Il ne s'autoriserait pas davantage – s'en octroyer une ces derniers temps relevait de l'évènement. Il considérait ne pas avoir le droit à plus, encore moins au regard de sa position dans sa famille. Son isolement, il chercha à se le justifier autrement. A se dire que ce n'était rien de plus qu'un moyen de se rendre service pour revenir plus fort, contredire Isaac et... Retrouver le cours de sa vie comme si celui-ci n'avait pas été perturbé.

Mais sitôt qu'il se fut carapaté dans la salle de bain, son émotion montra son vrai visage et Stiles eut tout juste le réflexe de mettre sa main sur sa bouche pour tenter le premier sanglot qui, déjà, le prenait... Pour ne pas dire qu'il s'emparait purement et simplement de lui. Il l'embarquait dans ce torrent qu'il s'efforçait d'entourer jour et nuit de barrages tous plus branlants et fébriles les uns que les autres. Des digues au pouvoir plus qu'éphémère.

Stiles pria tous les dieux possibles pour qu'Isaac n'ait rien entendu. Pourtant, en termes de distance pure, la chambre qu'il partageait depuis longtemps avec Derek se situait plus près que le salon. Mais l'hyperactif ne se soucia pas de lui, pour la simple et bonne raison que son pauvre amour... Dormait et que de toute manière, il n'accordait plus grande importance à ses sens surnaturels. Stiles faisait tout pour que Derek se concentre sur sa guérison, aussi bien corporelle que psychique et nombreuses furent les fois où il lui avait répété de ne pas chercher à voir mieux, à entendre mieux, à sentir mieux. Qu'il ne fasse, en somme, aucun effort.

Mais cette émotion traître qui le prenait s'intensifia, si bien que Stiles prit une précaution bien inutiles en se réfugiant dans un coin au fond de la pièce, assis, le dos contre le mur, en espérant ainsi se faire tout petit et... Discret. Ses mains recouvrirent complètement son visage. Sur ses joues, les larmes coulaient à flot, avaient cessé de faire leurs timides. Le cœur comme ouvert en deux, Stiles pleurait malgré lui, sans plus pouvoir se retenir, tout en faisant ce qu'il pouvait pour se convaincre que d'ici une ou deux minutes, ses yeux seraient à nouveau secs. Il s'appliqua tellement dans son entreprise pour étouffer sa propre douleur qu'il mit un peu de temps à se rendre compte... Qu'il n'était plus si seul dans la pièce, que la porte de la salle de bain s'était ouverte, puis refermées. Lorsqu'il osa relever les yeux, ses yeux plus rougis que jamais, Stiles voulut mourir.

Bien sûr qu'Isaac avait senti ses larmes, entendu son cœur.

Mais ce que ne savait pas Stiles, c'est qu'il n'était pas le seul.

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