Chapitre 12

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Pleurer avait été une erreur, Stiles le savait. Une erreur, parce que depuis, il n'arrivait pas à s'arrêter de parler. Les mots venaient tous seuls, ils sortaient sans son accord, faisaient leur petit chemin jusqu'aux oreilles d'Isaac. L'humain qu'il était aimerait beaucoup conserver cette image d'homme fort, tenant le coup pour sa famille, solide comme le roc qu'il se devait d'être pour elle. Le problème, c'est qu'il s'était autorisé à craquer. Autorisé la faiblesse. Stiles ne la généralisait pas à tous les hommes ou toutes les femmes : il considérait simplement que dans son cas, c'était à éviter. Comment, dès lors, dissimuler efficacement son émotion à son mari et à leur fils ? Ouvrir les vannes, c'était prendre le risque de ne pas pouvoir les refermer par la suite. Prendre le risque de leur faire comprendre que lui non plus, ça n'allait pas.

Et voir leur chute s'accélérer, devenir bien plus difficile à ralentir.

Alors tout en se confiant à son ami, Stiles se maudit. Le mal était fait de toute façon, il ne restait plus qu'à... Se vider complètement, avec l'espoir qu'il réussirait à rebondir après leur discussion pour mieux renfiler ce masque qui ne le quittait que trop rarement. A ce niveau-là, il n'avait plus beaucoup d'options, pour ne pas dire que son mal-être les avait toutes épuisées. Le constat était là, impossible à nier, difficile à accepter : d'une certaine façon, il n'y arrivait plus. Stiles tenta néanmoins de tromper sa propre vigilance, sa conscience... En se disant qu'il pouvait tout faire. S'il avait réussi à maintenir l'illusion jusqu'à maintenant, rien ne l'empêchait, techniquement, de continuer. Il suffisait qu'il se donne les moyens nécessaires à son entreprise. La motivation, il l'avait car pour lui, il n'y avait rien de plus important que la guérison, puis le bonheur des deux hommes de sa vie. Son mari, et son fils. Tout le reste pouvait attendre... Hormis ce qu'il se passait actuellement et qu'il ne pouvait contrôler.

Parler à Isaac était difficile. Les mots sortaient beaucoup trop facilement de sa bouche, au même titre que ses émotions semblaient comme se graver dans sa voix. D'ordinaire parfaitement posée, contrôlée, elle tremblait sous les assauts de son mal-être. Et Stiles détesta s'entendre. Il détesta également l'aisance avec laquelle il déballait tout ce qu'il avait sur le cœur alors même... Que ses propres confessions le mettaient profondément mal à l'aise. Isaac... N'avait pas à savoir tout ça. Il n'avait pas à connaître sa douleur, du moins... Pas telle quelle. Voilà ce qu'il trouva particulièrement difficile dans le fait de lui parler : laisser le cours des évènements le mettre à nu. Stiles, lui, ne le désirait pas vraiment, mais tout était contre lui. Alors il obéissait et vomissait les mots, tout ce malheur qui tapissait l'intégralité des parois imaginaires de son esprit. Et au fur et à mesure, il se décomposa. Sans se voir, il se sentait défaillir. Comment Isaac le verrait, après ? Comment... Qu'est-ce qu'il dirait ? Stiles ne lui reprocherait rien qu'il pourrait faire, encore moins partir. Oh oui, il le comprendrait fort bien. Un miracle qu'il soit encore là, face à lui. Le pire, c'est qu'il n'osait même pas le regarder. L'écoutait-il toujours ou bien faisait-il semblant, histoire de ne pas le blesser davantage ? L'humain n'avait aucune envie de le savoir. Il se trouvait dans un état de fragilité si grand qu'il commençait à ne plus savoir ce qu'il pourrait être capable de supporter dans l'instant T. Ses mains en tremblaient, ses épaules s'en retrouvaient grandement affaissées. C'était comme s'il s'effondrait sans perdre l'équilibre, sans laisser son corps rencontrer le sol, en épouser la dureté pour l'éternité.

Et sans s'en rendre compte, Stiles laissa transparaître dans ses confessions la peur soudaine de le perdre lui, Isaac. De le voir s'éloigner parce que cette souffrance était trop pour lui. Il ne le lui dit pas clairement, mais certains de ses mots le sous-entendirent tant ils traduisirent cette facette de sa détresse. Si Stiles faisait attention à ce qu'il lui disait, sans doute aurait-il tenté de se réfréner et de garder au moins ça pour lui. Un dernier pan de secret. Le problème, c'est qu'il ne contrôlait plus sa propre bouche et qu'il ne faisait, de toute façon, plus attention à ce qui en sortait. Dans un sens, il était las. Las de tout ça. Plus que cela, il était ailleurs, se détachait malgré lui plus ou moins de la situation, un phénomène qui s'accentua au fur et à mesure que le temps passait... Si bien qu'il ne fit pas attention à ce qu'il pouvait bien se passer alentour.

Il n'entendit même pas la serrure s'enclencher et l'agitation relative qui eut lieu à l'entrée de la maison. Il avait pourtant l'ouïe fine et faisait d'ordinaire toujours attention à ne pas manquer ces bruits révélateurs qui agissaient sur lui comme une alarme. Mais Isaac, lui, restait conscient de tout.

Alors, il prit les choses en main... Et, sans crier gare, attrapa Stiles pour l'emmener à l'extérieur. La terrasse conviendra. Il fut si rapide qu'il eut le temps de fermer la baie vitrée avant que les deux nouveaux arrivants n'aient pénétré à l'intérieur de la maison. Très honnêtement, il aurait pu laisser les choses telles quelles, ne pas agir et laisser Stiles continuer sans le couper. Mais il l'aimait beaucoup et avait à cœur de respecter autant que faire se peut son désir de préserver ses ressentis pour lui, du moins... Tant qu'il ne trouvait pas d'autre alternative. Car Isaac savait plus ou moins dans quel état se trouvaient Derek et Eli. Leur révéler la vérité concernant les états d'âme de Stiles restait une chose délicate qu'il valait mieux repousser pour le moment. Un jour, il faudrait pourtant que l'hyperactif consente à lever le voile sur ces secrets-là. Mais maintenant, c'était peut-être effectivement un peu trop tôt.

- Qu'est-ce que tu...

Stiles était si éberlué par la rapidité d'Isaac qu'il ne savait pas quoi dire. En fait, il ne comprenait pas ce qu'il venait de se passer, encore moins pourquoi ils se trouvaient désormais dehors. Disons qu'il n'avait pas eu le temps d'y réfléchir sur l'instant, et... Le voilà qui clignait des yeux, perplexe.

- Ton fils, lâcha tout simplement Isaac.

Il avait senti l'odeur de Peter aussi, mais il était d'avis que cette information n'intéresserait pas Stiles outre mesure.

- Oh, fit Stiles lorsqu'il comprit.

Il aurait pu le remercier pour ses précautions, sa prévoyance. Dans un sens, il venait de lui sauver la mise, même s'il avait conscience du fait que ce n'était que momentané.

- Viens.

Isaac le prit par le bras et l'entraîna dans le jardin, un peu plus loin. Son idée, c'était de le faire marcher un peu et de l'éloigner suffisamment de la baie vitrée pour qu'Eli ne perçoive rien de leur discussion. Malheureusement, il ne pouvait rien faire pour l'odeur de la tristesse de Stiles, qui devait embaumer le salon – Isaac avait cessé de la sentir dès qu'il s'était concentré sur les confessions de son ami. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'Eli n'y fasse pas attention et qu'il gagne directement sa chambre. Le loup-garou aux cheveux bouclés ne pouvait pas faire davantage pour la confidentialité concernant les petits secrets de Stiles. Puis il partait du principe que le louveteau Hale-Stilinski n'était pas bête, il avait sans doute déjà remarqué des choses... Enfin, Isaac s'efforça à mettre cette idée de côté et enjoignit Stiles de continuer.

C'est alors qu'il perçut un bruit provenant de là où ils venaient, à savoir la baie vitrée. Il tourna instantanément la tête et Stiles, complètement perdu, suivit le mouvement en ne sachant que faire, ni sur quel pied danser. Les deux amis affichèrent tous deux une mine perplexe lorsqu'ils virent Peter s'avancer vers eux, l'air moins malicieux que d'ordinaire.

- Il faut qu'on parle, déclara-t-il, presque las.

Ses yeux se fixèrent sur Stiles, sur son visage pâlot, ses yeux et son nez rougis, son attitude très légèrement fébrile. Son odeur ? Inutile de s'attarder dessus tant elle était parlante. Il jugea un très léger coup d'œil à Isaac, dont il avait entendu et compris la manipulation dès qu'il était entré dans la maison.

- Il faut vraiment qu'on parle.

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