Chapitre 6

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Stiles était chiffon. Préoccupé. Triste. Et il avait, pour le coup, une dent contre Peter. Pas que celui-ci ait fait quelque chose de mal, de véritablement répréhensible... Non, il lui avait juste demandé s'il pouvait prendre Eli pour la journée. Car même si Stiles connaissait la propension de Peter à repousser les limites de tout interdit possible et imaginable, l'oncle aux tendances psychopathiques lui demandait toujours la permission pour s'emparer de son petit-neveu.

Le truc, c'est que Stiles avait failli dire non. En fait, il en avait eu envie. Envie de lui dire de repasser plus tard, de prendre Eli avec lui une prochaine fois.

Mais l'humain avait vu son fils passer dans la cuisine et surtout... Le semblant de sourire qui avait marqué son visage lui avait fait abandonner son idée. Ainsi, Peter avait eu droit à son approbation. Pas à celle de Derek, qui... Était là sans être là. Depuis l'incident, le couple avait convenu que Stiles serait le seul à prendre les décisions de ce genre à la maison et de toute manière... Derek n'était pas dupe, voyait parfaitement bien la distance qu'Eli mettait entre eux.

En père aimant mais aussi perdu que brisé, il n'avait pas la moindre intention de lui enlever les quelques joies qu'il pouvait avoir en sortant, en s'éloignant de lui. De son côté, il avait également beaucoup à penser. Ses pensées à démêler, à réorganiser en permanence. Tout faire pour rester debout, ne pas sombrer complètement, honorer les efforts que Stiles déployait sans arrêt dans le but de maintenir sa tête hors de l'eau. C'était suffisamment énorme pour mobiliser toute son attention... Alors il aimait beaucoup Eli, à un point tel qu'il pourrait donner sa vie pour lui – il l'avait déjà fait.

Mais il n'arrivait plus à être réellement un père. Plus vraiment un mari non plus. En fait, Derek virevoltait entre conscience et absences... Peinait à trouver le juste milieu. Rien que pour cette raison-ci, Stiles se sentait un peu moins mal d'avoir finalement accepté que Peter prenne Eli avec lui pour la journée. Dire qu'il avait les glandes serait un euphémisme, compte tenu de ce qu'il avait prévu pour ce jour, mais... Ce n'était pas grave. L'humain connaissait l'amour presque filial qu'Eli portait à son grand-oncle et inversement... Alors il était d'accord. De toute manière ils avaient le temps devant eux et...Stiles cessa de tergiverser. Il avait un appel à passer.

Au départ, l'hyperactif avait réservé une table à un restaurant en plein centre-ville qu'il aimait d'amour... Qu'Eli et Derek adoraient aussi. Cela faisait des moins qu'ils n'y avaient pas mangé et Stiles s'était dit qu'il ne serait pas idiot d'y retourner, de s'y remémorer les bons souvenirs. Après cela, il avait envisagé d'aller voir un film – dont il avait déjà acheté les places – puis de terminer par une petite balade dans le parc alentour. Ensuite, il s'était dit que de son côté, pour bien clôturer la journée, gâter gastronomiquement parlant ses deux amours ne serait pas une mauvaise idée – d'autant plus qu'il avait déjà tout ce qu'il lui fallait à la maison.

Cette journée était une petite surprise qui, bien que modeste, était censée leur permettre de passer un petit moment ensemble, tous les trois. Cela faisait longtemps que Stiles essayait de rendre ce genre de choses possibles, mais il fallait croire... Que ce n'était pas pour tout de suite. Pourtant, il avait hésité... Et avait pris son courage à deux mains la veille au soir.

- Tant pis, murmura-t-il en s'emparant de son téléphone.

Ce n'était que partie remise, n'est-ce pas ? Il avait juste à appeler le restaurant, à réserver pour le week-end prochain... Et à racheter des places de cinéma en essayant de se dire que cette fois, ça irait. Qu'il pourrait faire sa surprise tranquillement et peut-être... Recoller quelques morceaux de ce qui faisait autrefois leur unité à tous les trois.

Stiles avala péniblement sa salive et sortit sur la terrasse, de peur que Derek sente son odeur d'ici car pour cette fois, l'humain peinait à la restreindre.

xxx

Eli n'irait pas jusqu'à dire qu'il était heureux, mais il se détendait peu à peu. La vitre grande ouverte, les cheveux au vent, il observait le paysage défiler à grande vitesse. Sur cette route droite peu fréquentée en ce début de matinée, Peter avait le champ libre... Et pouvait rouler comme bon lui semblait. Ce n'était pas forcément le plus prudent, mais qu'importe. Eli adorait la vitesse et Peter adorait lui faire plaisir. A côté de cela, il contrôlait parfaitement son véhicule et sa vision surnaturelle pouvait lui faire voir n'importe quel danger routier quelques millièmes de secondes avant qu'il n'arrive.

- Qu'est-ce qu'on va faire ?

C'était la première fois depuis leur départ de la maison Hale Stilinski que la voix d'Eli s'élevait dans l'habitacle. Si c'était inhabituel, le jeune homme étant d'ordinaire particulièrement bavard, Peter ne s'en formalisait pas. De toute manière, il l'avait senti : son odeur était très parlante. En bon grand-oncle, l'ancien alpha ne le forçait pas, attendait qu'il s'ouvre à lui de son plein gré. Ce qu'il voulait, c'était qu'Eli se sente en confiance avec lui... En sécurité. Qu'il puisse se dire que quelqu'un était là pour lui, que sa famille ne se résumait pas à ses parents – que Peter aimait vraiment beaucoup. Le hic, c'est qu'il trouvait le garçon un peu seul, isolé entre deux pères dont la relation n'était pas au beau fixe. Elle était déséquilibrée, tenait encore par un miracle purement explicable : les efforts de Stiles pour la maintenir à flot.

- Où veux-tu aller ? S'enquit Peter au lieu de répondre à sa question.

Eli sembla considérer la demande sérieusement. En fait, il y réfléchit longuement, les yeux dans le vague, l'odeur piquante.

- Partout et nulle part, finit-il par répondre.

Peter fronça légèrement les sourcils mais ne tourna pas pour autant la tête vers le jeune homme.

- Je sais pas, j'ai envie de voyager, de... De changer d'air. Tu pourrais m'emmener dans le désert que je serais heureux.

Ça aussi, c'était inédit. S'il y avait bien une chose qu'il appréciait chez Eli, c'était cette capacité qu'il avait de toujours savoir ce qu'il voulait. Cette fois-ci dénotait complètement de par le côté fort vague de sa réponse et Peter interpréta ces mots comme un aveu. L'aveu d'une situation qui continuait de se dégrader, qui devenait invivable.

- Comment ça se passe à la maison ?

Poser ce genre de questions lui paraissait un peu étrange tant le vieux loup n'en avait pas l'habitude, mais... C'était quelque chose qui devenait obligatoire, presque urgent. En général, il préférait directement lui changer les idées sans passer par ce type d'interrogations, qu'il trouvait futiles et inutiles. Avec le temps, il se rendait toutefois compte que parfois, c'était ce qu'il fallait.

Parfois, pousser à la confidence était une bonne chose.

Eli haussa les épaules sans jamais poser les yeux sur son grand-oncle.

- Toujours pareil, finit-il par articuler.

Peter perçut avec une aisance folle le raté dans son rythme cardiaque. Même s'il était parfaitement conscient de la difficulté que représentait le fait de mentir à un loup-garou, Eli avait tout de même essayé... Quoique dire qu'il avait « minimisé » la chose serait plus juste.

- Mais encore ? Tenta-t-il tout en commençant doucement à relâcher l'accélérateur au profit du frein.

Bien que multitâche, il préférait se concentrer davantage sur les émotions et états-d'âme d'Eli plutôt que de prendre des risques sur la route. Les joies de la vitesse pouvaient attendre.

- Ça n'avance juste pas.

Là au moins, Eli se montrait honnête. Les choses ne faisaient rien d'autre que stagner et... Régresser, dans un sens. Il ouvrit alors tout naturellement la bouche, parfaitement conscient qu'il avait lui-même besoin de se vider un peu :

- Je ne reconnais plus vraiment mes parents.

Peter vit du coin de l'œil ses mains fines se rejoindre, ses doigts se triturer mutuellement et peina à se rendre compte du fait que cette phrase, aussi courte soit-elle, l'avait glacé sur place... Pour la simple et bonne raison qu'elle voulait dire beaucoup, en peu de mots. Elle exposait avec une clarté indéniable le sentiment d'Eli à leur égard.

Il commençait à se perdre dans les méandres de leur destruction. 

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