Trouvaille et Révélations

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Dans sa voix, je sens toute la détresse et tout le stress qui l'habitent. Je ne le savais pas maniaque au point de se mettre dans cet état pour deux ou trois vestes de costumes chiffonnées. Sa réaction me fait un peu redescendre. Je me sens fautive et essaye de calmer les choses en rattrapant mon bazar.

—Oui, désolée, attends, je ramasse, je ramasse ! m'excusé-je.

Déterminée à tout remettre en ordre, je pose le téléphone, puis attrape grossièrement les vêtements en boule dans mes bras. Je lance le tout sur le lit, avant d'aller chercher les cintres.

Sur la moquette bleue marine du dressing, un objet brillant et clair, sans doute tombé d'une des poches, attire tout de suite mon regard.

Alors que je baisse un peu la tête pour mieux le distinguer, mon sang ne fait qu'un tour.

C'est l'alliance de mon mari !

Je la reconnais tout de suite. Mon cœur rate un battement, puis deux. Peut-être même s'arrête-t-il. Sans un mot, je me saisis de l'anneau et ferme ma main dessus si fort qu'elle pourrait fusionner avec ma paume pour ne plus jamais en ressortir. Mes muscles se tendent.

J'inspire un grand coup, pour rester digne, et faire barrière aux cris, à cette hargne qui voudrait sortir de moi.

En réalité, je ne sais même plus comment réagir, car même la colère que je pressentais s'efface tout à coup.

Je m'assois sur mon lit, hébétée, sidérée. Je me sens traversée par un calme étonnant. À la limite du ralenti, mon corps se prépare au raz de marée. Je reste silencieuse quelques secondes, faisant fi des tentatives vaines de Ludovic pour que je lui parle.

Ces derniers temps, ma solitude a été une compagne fidèle, mais incroyablement utile. Elle m'a permis de réfléchir et d'imaginer toutes sortes de choses, si bien qu'aujourd'hui, dans cette chambre, avec cette alliance -qui devrait être au doigt de mon mari à Stockholm- dans ma main, je sais.

Je sais pourquoi il appelle aujourd'hui, alors que je n'ai eu le droit qu'à cinq pauvres SMS depuis son départ.

Je sais pourquoi il insiste pour que je ne touche pas à ses affaires.

Je sais pourquoi il me ghoste depuis si longtemps.

Je sais, quelque part, où il en est dans notre mariage. Ces certitudes qui pointent les unes après les autres dans ma tête, finissent par se répéter en boucle, toutes en même temps, créant une cacophonie à la limite du supportable. Chacune d'entre elles me gifle au passage.

Le choc de la révélation ouvre en moi un large champ sur tout ce que je ne voyais pas, ou refusait de voir.

Laissait-il son alliance ici chaque fois qu'il partait ? Cherchait-il par ses absences, et en me sous-entendant de m'amuser cet été, à me pousser à la faute ? Avait-il besoin d'un prétexte pour ne pas avoir à me quitter ou, pire, pour avoir quelque chose à me reprocher ?

Mon esprit s'emballe et part dans tous les sens. Dans ce brouillard, j'entends au loin la voix de mon mari, déformée par la communication téléphonique, qui m'implore de lui parler. Je prends une grande inspiration et récupère l'appel.

—Depuis quand ? demandé-je, froidement.

Le soudain silence de Ludovic au bout du fil en dit plus que tous les mots qu'il pourrait prononcer. J'entends sa respiration erratique qui attise encore plus cette fureur que je sens naître dans ma poitrine.

— Parles ! assené-je. Depuis quand ? Et pourquoi ?

— C'est difficile à expliquer, marmonne-t-il.

— La difficulté n'existe pas pour toi, Ludovic. Me prends pas pour une idiote. C'est le moment de t'expliquer.

— Ecoute, je... Laetitia, nous pourrons en parler à mon retour; je n'ai pas envie d'en discuter maintenant ! J'ai besoin de temps pour comprendre ce qu'il m'arrive. Et je crois que toi aussi. C'est une parenthèse qui pourrait nous faire du bien, tu ne crois pas ? Chacun sans alliance, ni obligation.

Estomaquée, je peine à reprendre le fil de mes pensées et ne sais pas quoi lui répondre. Je pense à notre fille, à nos vacances déjà prévues, à notre maison, à cette femme au téléphone qui -avec le recul- a eu une drôle de réaction quand j'ai demandé « mon mari ». Je pense aussi à mes frustrations à plusieurs niveaux, à tout ce que je bride en moi au nom de l'engagement. Toutes ces pensées se chevauchent, me rendant incapable de discerner ce qui est important et ce qui l'est moins Je n'arrive pas à trouver de logique dans les paroles de mon mari.

— Est-ce que tu as retiré cette alliance pour te sentir célibataire ? Ou pour donner cette impression aux femmes à côté de toi ?

— Je ne sais pas Laetitia.

— Tu l'avais cachée. Mal, mais cachée, déploré-je. Depuis tout ce temps, tu me laissais seule et moi je me remettais en question. J'attendais, alors que toi tu savais très bien où tu en étais ? Cette alliance, dans une poche de veste... Sérieux ? C'est un acte manqué ? Tu voulais que je la découvre, au lieu de trouver le courage de me parler ?

Au bout du fil, il ne dit toujours rien. Je l'entends soupirer plusieurs fois. Avec la distance, je n'arrive pas à savoir s'il est triste de la situation ou s'il soupire parce qu'il en a marre de m'entendre déblatérer mes psychologies de comptoir. Je reste calme, je suis aux aguets, en attente de ses réponses. Si j'explose maintenant, il pourrait fuir encore et raccrocher. Tel un chasseur à l'affût, je reste tapie pour le garder en ligne et le laisser aller au bout de cette explication, au péril de ma santé mentale.

—Utilisons cet été pour prendre du recul, Laetitia, argue-t-il d'un ton sec, prémisse de sa colère.

—Mais...

— Je rentrerai comme prévu, ajoute-t-il. Mais j'emmènerai ma mère et Lola avec moi et nous irons passer les vacances à la location, comme c'est déjà tout payé. Tu seras tranquille pour faire ce que tu veux.

—Tranquille... répété-je.

—Vois du monde, sors, continue-t-il d'un ton neutre. Je suis pas con Laëtitia, je vois bien que je te donne pas ce que tu désires, ni même ce que je devrais. C'est pas juste pour toi et c'est de ma faute tout ça. Mais là, j'ai besoin d'air et de vivre autre chose.

Il déroule son argument, sans âme. Il récite quelque chose qu'il a peut-être répété cent fois dans sa tête. Après tout, je le pensais passif et heureux de la situation, mais peut-être qu'il préparait ce moment depuis longtemps. Il déclame ces paroles sans se soucier du mal qu'il me fait, comme s'il fallait le faire, comme si c'était nécessaire. Je sens mon cœur se vider à mesure de ses mots. Ma bouche s'assèche, mon cœur sonne le glas, mes yeux s'humidifient. La froideur de son discours contraste avec l'image de lui que j'ai en moi depuis notre rencontre. Cette tendresse et ce regard dont je me souviens s'éclatent contre ce comportement indifférent qu'il m'assène, alors que je ne m'y attendais pas.

— Mais, Ludo, pitié... balbutié-je.

—Quoi pitié ? Arrête ! C'est pas la peine de faire ta victime Laetitia !

—Mais Ludo, je...

— Laëtitia, là, stop, on va pas en parler pendant cent ans ! s'énerve-t-il. Amuse toi, baise qui tu veux s'il le faut, occupe toi !

—Bai... ? Quoi ?

Estomaquée par ce que je n'aurais jamais cru entendre de la bouche de mon mari, je n'arrive pas à répondre quoi que ce soit  avant qu'il ne raccroche. La seconde d'après toutes les choses que j'aurais pu répondre me viennent en tête. 

Trop tard. 

Mon été sans allianceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant