Retour dans ma vie

120 16 15
                                    



Nous ne nous endormons que vers trois heures du matin, ivres de plaisir et de jouissance.

L'alarme de 7h30 me fait très mal. Je l'éteins rapidement, assez pour ne pas réveiller Yoann qui dort encore. À contrecœur, je m'extirpe de ses bras et me tourne pour prendre quelques instants à le regarder dormir. Paisible et détendu, je l'envie dans ce sommeil que je devine si agréable. Hélas, mon poste m'attend et ce matin, je n'ai pas vraiment le choix. Je dépose un baiser sur sa tempe et sors de la chambre.

J'arrive la première à la mairie. En ouvrant la porte de mon bureau, j'appréhende la pile de documents à traiter qui pourrait m'attendre, mais suis surprise de constater que ça n'est pas le cas. Après vérification, il semblerait que Muriel ait enfin compris comment traiter certains dossiers. Quelle satisfaction.

La porte du hall claque, puis un son de pas lourds se dirige en direction de mon bureau.

—Ah, super, t'es de retour, je savais pas si t'allais v'nir aujourd'hui ! Ça va mieux ? Sympa ta robe ! T'as vu, j'ai assuré en ton absence, martèle-t-elle presque en apnée.

Oui, c'est sûr, ma robe est jolie, et bien trop décontractée. Mais je n'avais que ça de propre dans mon sac et je m'en fiche, elle pensera bien ce qu'elle veut.

—Bonjour Muriel, réponds-je d'un calme qui tranche avec son empressement.

Elle se met à rire avec gentillesse.

—Oui, bonjour Laetitia ! Alors ? Tu me racontes ? Tu veux un café ?

L'énergie débordante de Muriel me fait du bien ce matin. Étrange. C'est une des premières fois que je ressens ça. D'ordinaire, elle m'épuise et je tâche de ne pas le montrer parce que malgré tout, je sais que c'est une personne d'une profonde gentillesse. Envahissante, mais gentille. Elle repart dans le hall. Ses talons, qui claquent avec rapidité m'indiquent qu'elle trottine, jusqu'à la machine à café sans doute. Elle revient avec deux tasses qu'elle pose sur mon bureau puis elle s'installe en face de moi.

— Y'a un très beau mec qui est passé pour te voir, vendredi ! Tu sais, le fils Brétignant. Alors, celui-là, ho-la-la ! commence-t-elle en secouant sa main.

—Oui, que voulait-il ? réponds-je, choisissant de rester discrète.

—Je sais pas, j'ai pas demandé. J'ai juste dit que t'étais pas là.

Et que mon mari était parti ? Qu'il me traitait mal depuis des années ? Qu'elle était sûre qu'il me trompe depuis le début ? Et que j'étais chez moi à la limite de la dépression et encore pleins de détails croustillants, possiblement sans le moindre rapport, non ?

Aujourd'hui, je n'ai ni l'envie ni l'énergie de la confronter, je préfère jouer la carte de la confiance faussement naïve. Je hoche la tête, avec un sourire en coin que je peine à réfréner. Je ne suis pas en colère contre ses indiscrétions. J'en ai l'habitude. C'est à moi de ne pas divulguer d'informations, après tout. Nous savons tous comment est Muriel. Et d'un coup, comme pour officialiser ma situation, me prends l'envie d'annoncer la vérité.

—J'ai demandé le divorce à Ludovic.

Muriel écarquille grand les yeux. À ce moment précis, je perçois dans tous les rictus de son visage sa vive volonté de ne pas montrer ce qu'elle pense, de ne pas réagir. Dans sa tête, elle a déjà sorti le pop-corn. Ses yeux s'écarquillent et elle touille son café tellement fort qu'elle vient de s'en éclabousser un peu sur le chemisier. Elle ne dit rien ? Et bien, et bien... ! Elle est même trop silencieuse. Prenant un air faussement détaché, elle hoche la tête en pinçant les lèvres.

—Mh-Mh... !

—J'ai découvert des choses sur moi, sur lui, sur nous. Ça ne marchait pas, voilà tout, ajouté-je.

—Ah, purée, je m'en doutais. Déjà, il y a quelque temps quand tu avais l'air pas bien j'avais dit à Malika que...

La voici qui déblatère. Je la laisse faire et je ne l'écoute même pas. Elle a essayé de tenir et de ne pas commenter, mais a vite cédé à sa nature. Je reste poli et lui fournis tout le feed-back nécessaire pour aller au bout de sa pulsion de commère. Je réponds d'un hochement de tête ou d'un geste de la main.

Le téléphone de l'accueil sonne et c'est le gong qui me sauve, au moins pour ce round. Nous retournons travailler.

La matinée passe lentement. Entre l'archivage de documents et mes pensées vers Yoann, le temps s'etire et me torture.

À midi, je reçois un SMS de lui.

« Rejoins-moi devant la salle qui fait pleurer :) »

Je souris et me précipite hors de la mairie. Je fais le tour et arrive dans la ruelle où se trouve l'entrée de la salle, témoin de mes états d'âme. Il est là. Son visage s'éclaire quand il m'aperçoit. Il est beau comme un dieu et c'est pour moi qu'il est venu ! Mon cœur s'accélère et je n'en peux plus de sourire.

—Monsieur Brétignant ? Mais ? Qu'est-ce-que vous faites là ? claironné-je, tandis que je m'avance vers lui.

—Rien de spécial, Madame Martin, répond-il faisant les derniers pas qui nous séparent. Je passais dans le coin, par hasard et j'avais juste envie de faire...ça.

Finissant sa phrase, il cueille mon visage de ses mains et m'embrasse avec passion. Je pose mes bras autour de son buste et me presse contre lui.

Quand nos lèvres se séparent, ses yeux restent accrochés aux miens avant qu'il ne dise:

—Tu veux que je te ramène chez toi en voiture tout à l'heure ? T'as laissé un sac chez moi, et il restera en otage jusqu'à ce que tu me reviennes, tu sais ?

Je ris. Là, tout de suite, c'est moi qui adorerait être son otage. Cette pensée m'émoustille. Ce soir je retrouve mon foyer. Mercredi, ma fille et ma vie. Alors aujourd'hui, j'ai envie d'être encore un peu cette autre moi. J'accepte.

À seize heures, Muriel et moi quittons la mairie en même temps. Pour ne pas attiser plus la curiosité de ma collègue, nous avons convenu de nous retrouver devant chez lui après ma journée de travail.

Muriel m'attend, pensant faire la route ensemble jusqu'à l'arrêt de bus, comme cela nous arrive parfois. Je pourrais la suivre, et faire semblant de rentrer chez moi. Mais j'ai décidé de ne plus me cacher, partant finalement d'un pas tranquille dans l'autre direction, sous son regard interrogatif.

Je rejoins Yoann et nous nous dirigeons vers mon appartement.

Je ne peux décrire mes émotions durant le trajet. C'est un mélange foutraque, un cocktail complètement dingue de ressentis qui d'ordinaire n'iraient pas ensemble. J'ai hâte d'avoir peur. J'ai peur d'aimer. Je suis triste d'être heureuse. Résultat, je souris jusqu'à en pleurer, avec des papillons dans le ventre et le froid dans le dos. Comme si ma vie d'avant fusionnait sous mes yeux avec celle que je souhaite me construire. On dirait que ma résilience fait grand bruit pour me dire adieu.

Je reste silencieuse, bien incapable de verbaliser ce qui se passe en moi. Yoann me laisse tranquille, sans doute conscient du chaos qui règne dans ma tête.

La voiture s'arrête, et je constate que je suis arrivée. 

Mon été sans allianceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant