Le réveil

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Ça y est.

Viens-je vraiment de le faire ?

Je tiens mon alliance entre mon pouce et mon index. Mes doigts créent cette pince que je ne parviens pas à desserrer, l'espace d'un instant. Je vis ce flottement, comme si je venais de sauter dans le vide, et que j'attendais de percuter le sol. Je me prépare à accueillir ces émotions que j'étais persuadée ressentir au moment où j'allais défaire mon doigt de cette bague qui l'ornait depuis tant d'années. Le vide, la peur, le regret, peut-être.

Mais non, je ne ressens rien.

Non, peut-être pas « rien », tout compte fait. Je crois, en fait, que je suis déçue de ne rien ressentir. Pas la moindre envie de pleurer, ni de sautiller, pas même de crier. Ce moment est peut-être plus symbolique qu'officiel et mon esprit le saurait ? Peu importe. Je la range dans mon vanity.

Dans le miroir au-dessus de la vasque, je scrute mon reflet, cherchant une réponse dans mes propres yeux.

Et maintenant ?

J'observe ce visage, comme s'il n'était pas le mien et me rends compte que je n'ai, pour cette fille en face de moi, que des pensées bienveillantes.

Merci Laetitia, d'avoir essayé de me protéger tout ce temps, résonne dans mon esprit, étirant un sourire sur mes lèvres.

Tandis que j'essore ma chevelure dans une serviette éponge, je ne peux pas quitter mon reflet des yeux. Comme hypnotisée. Une pensée me vient en tête et me fait réaliser une chose d'une simplicité incroyable. Toutes ces années, je me laissais engloutir dans une solitude mortifère, oubliant que depuis le début j'avais à mes côtés la meilleure alliée qui soit.

Moi.

La force qui nous habite, pour peu qu'on en prenne conscience, a ce pouvoir. Celui de ne pas nous faire sentir seuls. Quoique je décide, quoi que je fasse désormais, j'en suis capable. Je le sais. Je n'ai besoin de personne pour vivre et avancer comme je l'entends. Même si des obstacles se dressent devant moi, je finirai bien par les franchir. Quel soulagement.

Il est fort de constater combien mon cerveau peut traiter d'informations à la fois. En moins de cinq minutes, j'imagine déjà l'agencement d'un appartement pour moi, je visualise déjà ma vie sans Ludovic. La garde alternée, mes jours sans ma fille, ceux avec, les vacances, les anniversaires, les fêtes de Noel. Tout, dans mon esprit, est perçu comme surmontable. Ces pensées m'apaisent, m'offrant une vue de l'avenir à la fois claire et possible.

La fatigue reprend vite le dessus, il est temps pour moi d'aller me coucher.

J'arrive dans cette chambre qui me semble d'un coup être si différente de celle que j'ai vu hier en arrivant. La pièce parait plus chaleureuse. Le lit plus accueillant. Yoann y est déjà allongé, les yeux mi-clos. En m'entendant, il ne prend pas la peine de les ouvrir, mais il utilise ses dernières forces pour se saisir du drap, qu'il soulève comme une invitation à me glisser sous son bras. Je prends place et me love contre cette peau douce et chaude. J'enfouis ma tête à hauteur de son cou.

Sous des draps frais, blottis dans les bras l'un de l'autre, nous nous endormons, heureux.

Quand je me réveille, la journée est déjà bien entamée. J'ai dormi moins de six heures, mais je ne me sens pas du tout fatiguée. Comme si me rappeler d'un coup où et avec qui je suis me donnait un shoot d'énergie.

Je me tourne et constate que je suis seule dans le lit. L'idée que tout ceci ne fut que le fruit de mon imagination me traverse une seconde et me fait rire.

En sortant de la chambre je suis happée par une odeur de café et de pain toasté qui flotte dans l'air.

La baie vitrée, entrouverte, a attisé ma curiosité. Je tombe sur Yoann, assis dehors à la table du petit-déjeuner, en train de lire. Quand il m'aperçoit, son visage rayonne et il se lève pour m'accueillir.

— Alors ? Je me suis réveillée bien seule, dans ton grand lit...taquiné-je.

—Je n'avais plus sommeil et je voulais te laisser te reposer encore un peu, après la soirée d'hier...

Puis, il tire la chaise à côté de lui pour que je m'y installe. Je me sens traitée comme une grande dame. Quelle prévenance !

Un si bel homme juste là, devant moi, qui m'admire comme un objet de désir, serais-je en train de rêver ? Je pose ma main sur son cou et prend le temps d'embrasser ses lèvres exquises afin de m'assurer que j'évolue bien dans la réalité.

— Tu as dévalisé la boulangerie du village ? plaisanté-je, tandis que je choisis un pain au chocolat sur un plateau exagérément garni.

—Je ne savais pas ce qui te ferait plaisir ce « matin », alors j'ai pris un peu de tout.

Il a dressé la table. Des couverts, des serviettes en tissu et je crois même, à l'odeur, que le jus d'orange est fraîchement pressé. Pour sûr, il a mis les petits plats dans les grands, pour moi. Une vague de chaleur m'emporte face à cette attention que Ludovic n'avait même pas pris la peine d'avoir en sept ans de mariage.

—Bien dormi ? continue-t-il.

Appréciant ma viennoiserie, c'est en relevant les sourcils que je réponds. L'épanouissement vissé sur mon visage est une réponse à lui seul. Cette moue satisfaite ne vient pas seulement de cette tuerie dans laquelle je viens de croquer, mais de tous les événements de ces derniers jours.

Je prends la mesure réelle de tous ces changements dans ma vie et de tout ce que j'ai vécu ces dernières semaines. S'il y a ne serait-ce qu'un mois, on m'avait dit où j'en serais aujourd'hui, je ne l'aurais jamais cru.

Ma vie va prendre un grand tournant. Les quelques heures de sommeil au calme ne m'ont pas fait changer d'avis. Je sais toujours où j'en suis, et me sens plus que jamais sûre de mon choix.

Je me mets malgré tout à penser à mon mari et à ces derniers mois.

Toutes ces solitudes, même en sa présence. Ces larmes versées, seule. Mes supplications, ridicules. Tous ces moments où ses comportements m'ont fait me sentir minable, finie, meurtrie. Avec le recul, le constat est simple:

Ludovic a inconsciemment essayé d'exprimer tant de fois que nous n'étions plus rien l'un pour l'autre. La fin de notre mariage était là, devant mes yeux durant tout ce temps, mais je refusais de les ouvrir, blottie dans l'illusion du confort que m'offrait cette vie. Combien de temps cela aurait-il pu encore durer ? Des années ? Toute notre vie ?

Je pense aussi à ma fille. Lola, mon petit amour. J'essaye d'imaginer l'impact que la garde partagée pourrait avoir sur elle. Je réalise que cela ne m'inquiète pas, pour une raison simple, verrait-elle une réelle différence ? Ludovic n'était pas à la maison la plupart du temps. Et puis, souvent, on dit qu'il vaut mieux avoir des parents séparés et heureux, qu'ensemble et tristes. C'est un adage que je vais pouvoir vérifier bientôt.

— À quoi tu penses ? demande la voix grave de Yoann.

— À ma fille.

Bon, pas que... Mais je ne lui mens pas pour autant.

—J'imagine ma vie de maman à mi-temps, reprends-je.

—Maman à mi-temps ? répète-t-il en riant.

Oui, je sais que j'exagère. Lola est ma fille, je suis sa mère et c'est tout. Même si j'ai peur de lui faire de la peine, même si l'avenir reste incertain sur bien des points, je sais que ma décision est la bonne. Pour nous tous.

Mon été sans allianceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant