Chapitre 1 : Un doigt dans l'engrenage

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Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 1,épisode 1, autour de 10:00. TW : drogue, addiction.

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23 mars 2019, 20:32

Une à une, les marches de l'escalier défilent sous les semelles usées de mes bottes, dans la lumière au néon de ce vieil immeuble de The City. Une ville du Nord, une ville de lacs : glaciale en hiver, pluvieuse au printemps, humide toute l'année. Des hauts gratte-ciels encerclés d'immeubles bas éclectiques : Edouardiens, Arts-and-Crafts ou plus quelconques, comme le mien. Au coin de la rue, l'immense Argyle Park semble sommeiller : à cette heure du soir, même si nous sommes maintenant au printemps, il fait déjà nuit.

Ma famille vit ici depuis mon enfance, et l'odeur de cette cage d'escalier n'a jamais changé en plus de vingt-cinq ans : celle de la soupe de la voisine du premier étage, du détergent de ménage, de la graisse des rouages de l'ascenseur que je n'utilise jamais. Je pourrais aller bien plus vite pour atteindre mon lit, c'est un fait, mais il y a certains 'détails' sur ma vie que j'ai miraculeusement réussi à cacher aux voisins, et je souhaiterais continuer.

Tandis que ma clé tourne dans la serrure, je soupire. La journée a été difficile au boulot. Il y a des jours comme ça, à la quicaillerie, où absolument tout le monde semble avoir besoin d'écrous calibre 12. La porte s'ouvre sans protester, et je jette mes clés dans le bol du meuble de l'entrée. Ma grand-mère n'est pas là : c'est le jour de sa partie de bridge. L'une des rares activités à justifier de lui faire éteindre son poste de télé.

La lumière de l'entrée vacille tandis que je l'allume, mais je lève les yeux et elle finit par se stabiliser. Fatiguée, je m'apprête à retirer ma veste sur laquelle mon badge clame mon prénom - Rin - mais quelque chose attire mon regard sur la console. Un morceau de papier chamois, typique des télécommunications de The City. Je fronce les sourcils, en regardant de plus près.

La dernière chose que j'attendais ce soir, c'était un télégramme, et encore moins un télégramme de Klaus, qui n'en envoie jamais. Dans l'état d'imprégnation narcotique qui était la sienne la dernière fois que je l'ai vu, il m'aurait même semblé incapable d'approcher un poste des télécoms, et ceci m'inquiète d'autant plus. Alors, je tends la main... et je déplie le feuillet.

Le message commence par 'Mon père est mort, viens pour un moment s'il te plaît', puis se perd dans des mots que je ne comprends pas.

J'écarquille les yeux, je reste un instant figée, comme si les rouages de mon cerveau venaient de s'arrêter. Je relis encore et encore les lettres d'imprimerie, puis je soupire. Super. Je soupire encore. Oh et puis merde.

*Crac !*
Dans un trait de lumière bleutée, je disparais de l'entrée, me téléportant directement à l'arrêt de bus en bas, sans plus aucune arrière pensée.

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Je connais Klaus depuis – laissez-moi compter – dix ans, puisque nous en avons vingt-neuf. Il m'en a fait voir de toutes les couleurs, souvent. Bien trop souvent. Il est le genre de personne avec qui tu refais le monde, avec qui tu partages les meilleurs éclats de rire, les nuits les plus absurdes et les pires conneries. Le genre à avoir aussi besoin de soutien, trop souvent. Littéralement. Quand je dis ça, ça veut dire à la force des bras. Heureusement, je n'en connais pas beaucoup, des comme lui. Non. En fait, je n'ai pas grand monde tout court. Devoir cacher avoir un pouvoir - dans tous les aspects de la vie - n'aide en rien. Au moins, lui, il comprend ça.

Nous avons compris très vite que nous partagions cette 'particularité', quand nous nous sommes rencontrés, et nous n'avons jamais tellement cherché à comprendre pourquoi. Même si mon anxiété ordinaire me complique la tâche, c'est une chose que j'essaye d'apprendre de lui : une forme de lâcher-prise, même si moi, je ne touche pas aux substances qu'il absorbe. Il n'y a qu'une seule chose que nous ayons vraiment réalisée, et très tôt. Un détail administratif, pour vous peut-être. Nous sommes nés le même jour. À la même heure.

Une courbure de l'espace-temps (Saison 1) - The Umbrella AcademyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant