Chapitre 12 : Une odeur de cendre froide

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Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 1, épisode 4, autour de 07:07 (entre le moment où Allison montre Grace à Luther et le moment où Luther fouille la chambre de Cinq).

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27 mars 2019, 08h22

Dans ma main, les clés de mon trousseau s'entrechoquent en provoquant un écho dans le hall, tandis que je reste immobile, figée face à l'énorme lustre qui était encore suspendu dans les hauteurs du plafond la veille au soir. Je regarde là-haut sur le plâtre arraché, ma rationalité essayant de me faire conclure à un accident matériel lié à l'usure des attaches. Mais s'il n'y avait que ça. Les murs, criblés d'impacts de balles, ne laissent que peu de place au doute : pendant que j'étais chez Granny, Hargreeves Mansion a manifestement été attaquée.

J'aurais pu ressentir de la panique, avoir envie de m'enfuir, mais mon esprit est juste blanc, comme si un larsen le parcourait. Tout est tellement silencieux et désert, comme si la maison elle-même en était sidérée. Machinalement, j'enjambe un tas de verre d'ampoules brisées, et je passe dans le Grand Escalier.

Il ne me faut pas longtemps pour atteindre le pallier de la galerie, et je pivote pour me diriger vers le couloir des chambres dont les lumières sont restées allumées. Mais je m'arrête soudainement, quelque chose ayant accroché mon regard malgré moi. Une présence familière, reconnaissable entre toutes dans sa robe années cinquante bien repassée, mais inerte.

"Oh bordel".

Grace est sans mouvement sur son fauteuil. Son immobilité n'est pas celle qu'elle adopte dans ses rares moments de recharge, je le vois tout de suite. Sa posture, et cette expression indicible sur son visage penché. Mon regard tombe sur son bras ouvert sur sa discrète machinerie, et mes yeux se plissent avec un brin de douleur. Et alors, comme poussée par une forme d'urgence à présent, je cours littéralement jusqu'au couloir des chambres.

Le long du mur, les vieilles affiches exposant des postures de combat défilent les unes après les autres en alternance avec les moulures et boiseries délavées. Je passe la salle de bain vide, la chambre de Diego où ma veste orange repose sur la chaise. Les semelles de mes bottes sonnent sur le carrelage, tandis que j'arrive à la chambre de Klaus et que je la parcours rapidement. Le fauteuil, le tapis, les coussins, le narguilé. Ses affiches de Dali, les stickers qu'on a collés il y a dix ans, et tout ce qu'il a écrit et dessiné sur les murs année après année au milieu des petites lumières de la guirlande électrique. Quand ses carnets n'ont plus été suffisants pour faire sortir la douleur et la fixer.

Certaines phrases reviennent sans cesse, plus épaisses par-dessus des heures et des heures de nuits sans sommeil. "Forge my soul in the fire", "We feel like dark + small", "The way we die", "Off with his head". De nombreuses lignes obscures, et une - plus récente - écrite à l'encre turquoise : "Even in the darkest caves, there is light". Ces mots sont les siens, mais - lui - n'y est pas. Et tout ce que je peux sentir, c'est l'odeur de la cendre froide.

Soudain, un raclement de gorge me tire de ma contemplation, et je me retourne en sursaut pour trouver Luther à la porte de la chambre de Klaus.

"Bon sang, tu m'as fichu la trouille".

C'est la pure vérité. Il me fiche déjà la trouille même quand aucune fusillade n'a eu lieu. Mais je m'empresse de lui demander, car les mots sont déjà dans ma gorge :

"Tu sais où est Klaus ?"
"Hier soir il a dit qu'il sortirait. Il a bien fait".

Je me relève lentement sur le tapis oriental hors d'âge tandis qu'une confusion de sentiments me traverse - du soulagement à l'inquiétude - que je n'ai pas le temps de démêler. Malgré tout, c'est un mauvais pressentiment qui domine. On avait convenu de se croiser ce matin, avec Klaus. Il m'a déjà posé un lapin une fois cette semaine, et si je sais bien une chose, c'est qu'il ne le ferait pas deux fois de suite. Mais Luther n'a pas l'air inquiet pour ça. Il a clairement son propre lot de soucis, et tout son corps semble lui faire mal de façon inédite, comme s'il avait été roué de coups.

Une courbure de l'espace-temps (Saison 1) - The Umbrella AcademyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant