Chapitre 14 : La douleur de ce qui n 'arrivera jamais

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TW : Thèmes de guerre et violences militaires - Décès d'un partenaire

Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 1, épisode 5, autour de 19:28 (entre les réminiscences de Klaus dans la baignoire et la visite de Cinq à sa chambre).

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28 mars 2019, 08:41

Je n'ai pas bien dormi, en revenant de chez Viktor. Comme je l'avais escompté, les couloirs vides d'Hargreeves Mansion m'oppressent : je n'ai aucun sens à être ici sans personne, au milieu des murs criblés de balles. Pogo est là, quelque part en bas, mais depuis avant-hier, j'ai évité de le recroiser. J'ai attendu, attendu, en regardant passer les heures avec ce sentiment sourd d'être la seule à m'inquiéter, et cette impression dérangeante me soufflant que Klaus pourrait aussi bien disparaître sans qu'aucun de ses frères et soeurs ne le réalise avant un mois.

J'ai espéré une première fois, quand Diego et Cinq sont rentrés au petit matin. Finalement, il semble qu'il ait été possible de remettre la main sur ce dernier. Je ne sais pas si ça me rassure de le savoir là alors que des types armés sont à sa recherche. Mais le bruit de ses pas, dans sa chambre à l'étage, a au moins eu le mérite de rompre le silence de la Maison. Diego a disparu en bas. J'imagine qu'il a passé un moment avec ce qui reste de Grace.

Le jour était déjà bien levé quand j'ai entendu de nouveau du bruit dans le couloir, et dans la salle de bain. Des soupirs familiers. De l'eau, et l'odeur des sels de bain de lavande, supposés apaiser. Quelque chose a noué mon estomac tout de suite, sans que je sache d'abord que faire.

Mais Klaus est bel et bien rentré.

Je pourrais lui laisser le temps, mais quelque chose s'agite en moi, qui n'est cette fois pas l'envie de lui crier dessus. Par la porte de la salle de bain entrouverte, tandis que je m'approche dans le couloir, je le vois lutter contre des pensées intrusives, comme tant de fois en dix ans. Pourtant, cette fois-ci, elles ne sont pas celles que je lui connais, sourdes, pénétrantes, non. Il semble traversé d'une douleur vive, comme une plaie à vif. Un état de choc immédiat.

Ses mains, agitées et tremblantes, étalent du sang sur les bords de la baignoire.

Il ne m'en faut pas tellement plus pour m'approcher sans bruit, et il me regarde d'une façon que je ne saurais transposer par des mots. Comme si j'étais une apparition du passé, moi aussi, comme s'il cherchait un moyen de s'amarer, comme s'il perdait son accroche sur la réalité. J'ai déjà vu beaucoup de moments troublés passer sur Klaus. Mais ceci, jamais, et la pointe à mon estomac me transperce encore un peu.

Je regarde ce que je vois de lui : son regard est creux, il porte une médaille, et il a de nouveaux tatouages - au moins sous son épaule gauche et au dessus de son nombril - qu'il ne possédait pas avant-hier. Est-ce que ce sont des fleurs de lotus ? Je ne lis pas l'Akson. Je ne dis rien, je cherche à comprendre, comme si je le pouvais rien qu'en captant le regard qu'il accroche. Mais je ne le peux pas, et je me laisse juste tomber assise au sol à côté de la baignoire, près d'une paire de botte aux semelles incrustées de boue.

"Où étais-tu ?"

C'est bien la seule chose que je puisse prononcer. Et en vérité, depuis hier matin, j'ai espéré pas mal de fois pouvoir le lui demander. Il ne répond d'abord rien, il ferme de nouveau les yeux, et je sens que des images mentales s'imposent de nouveau malgré lui. Perçantes, limpides comme s'il y était encore. Ses doigts accrochent de nouveau la baignoire, étalant encore les longues marques de sang. Et avec une voix brisée comme s'il parlait pour la première fois en cinquante ans, il finit par me dire :

"J'étais... au Vietman... pendant un moment..."

Je le vois balbutier, comme si aucun mot ne pouvait exprimer ce qu'il veut dire vraiment, et je fronce les sourcils en me demandant s'il est encore plus défoncé que d'habitude. S'il me dit ça parce qu'il vient de voir mon visage, les traits hérités de ma grand-mère, dans la confusion de ses sens. Mais non, je connais la dilatation de ses pupilles et je peux à peu près assurer qu'il n'a rien pris depuis un petit moment.

Une courbure de l'espace-temps (Saison 1) - The Umbrella AcademyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant