Chapitre 20 : Le rasoir d'Ockham

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Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 1, entre l'épisode 7 et l'épisode 8.

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29 mars 2019, 22:14

Est-ce qu'un plafond est capable de tourner ? Couchée sur le lit de la chambre de Diego, le creux de mon bras sur mes yeux, j'attends. Qu'est-ce que j'attends, d'ailleurs ? Ma tête me semble vide. J'ai dormi, par intermittence, mais je me sens surtout affreusement somnolente. Hors de fonction, et pas seulement pour ce qui est des pouvoirs. Ironie du sort : le Valium ne marche même pas tellement pour diminuer mon anxiété.

Quelque part, je suis contente de l'avoir pris, ce soir. Par un alignement des astres que je n'ai pas compris, Luther est rentré : sans Klaus, mais fichtrement bien accompagné. Je l'ai vu passer dans le couloir avec une fille portant une veste blanche sans manches encore plus poilue que lui. Un genre de yéti cyberpunk, bien maquillée et manucurée. Avec une belle voix, très expressive, qui monte facilement dans les aigus. Sachez, à toute fin utile, que vous enfoncer la tête sous les couvertures ne vous empêchera absolument jamais d'entendre des gens s'époumoner, même à l'autre bout du couloir. J'aurais dû rentrer chez moi, mais maintenant je suis trop sonnée pour le faire. Je ne peux même plus me téléporter, et je me sens comme s'il me manquant un pied ou un bras. Même descendre prendre un café me semble totalement hors de portée, dans cette immense baraque.

Je me tourne d'un côté, de l'autre, tandis que l'atmosphère sonore monte crescendo. Est-ce que c'est à ça que ressemble l'enfer ? Probablement. J'écrase mon oreiller sur ma tête, en vain. Et soudain, au travers de ma torpeur médicamenteuse se fracassant contre ces envolées, j'entends un craquement léger sur le bois du plancher.

"Je rêve, ou quelqu'un est en train de faire des squats dans le champ de concombres ?"

Mon Dieu. C'est comme si Klaus venait de faire fondre ce qui restait de mon cerveau. Je prends une grande inspiration, d'air chaud sous l'oreiller. Et j'implore malgré moi :

"J't'en supplie, fait les arrêter".
Au bruit du plancher, je sais qu'il est ressorti dans le couloir pour écouter.
"Klaus..." dis-je en craignant qu'il m'ait pris au mot, mais heureusement il revient, tandis que j'extirpe ma face du coussin.
"Luther", glousse-t-il, c'est tellement invraisemblable de le voir... défoncé..."

Il vient d'aviser ma tête et je le sens m'analyser.

"T'as pas fait ça quand même", souffle-t-il.
La boîte de Valium est sur la table de nuit, alors le mystère est mince.
"Putain, Rin, on était d'accord pour dire qu'il n'y en avait pas besoin".

Je fait rouler ma tête, la soulevant péniblement pour remettre le coussin en dessous.

"Je préfère ne rien pouvoir faire, Klaus. Cinq a changé d'avis, il m'a convaincue. Au moins on est sûrs que je ne suis ni le poney ni le moustique. Que je ne vais pas faire péter l'équivalent d'une Tsar bomba à cause d'un collectionneur taré avec un oeil de verre".

Il s'exaspère, avec une mine trop sérieuse par rapport au fond sonore endiablé.

"T'entends ce que tu racontes ? Ça n'a ni queue ni tête, on dirait une hallu d'ayahuasca, la gerbe en moins".

En fait ça a plus de sens que ce qu'il croît, mais je n'ai pas le tonus pour contre-argumenter. Toute l'énergie que j'ai, je l'utilise pour me mettre assise, ma tête allant se caler le mur. La brique fait caisse de résonance avec les sons : c'était une mauvaise idée.

"En vrai, je me sens vraiment mal", dis-je très bas, comme un aveu. "J'aurais dû prendre la moitié".
"Tu fais le poids d'un berger allemand. Tu m'aurais attendu, je t'aurais au moins appris à doser".

Une courbure de l'espace-temps (Saison 1) - The Umbrella AcademyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant