Les abîmes du passé

6. La trêve

Hailey

Qu'est-ce qui lui a pris ?

J'essaie d'assimiler ce qui vient de se produire, sans succès. Ce n'est pourtant rien de grandiose, il ne m'a même pas touché, mais sa proximité, la simple lourdeur de son souffle, cette eau qui mêlait le sel de nos peaux... ma tête se retrouve sens dessus dessous en songeant à ce qu'il aurait pu faire. Ce qui me semblait qu'une petite guerre pour nous embêter m'a vite échappée.

Pressée de m'éloigner de lui, je fonce la tête basse, mais à peine sortie de la salle de bain, je glisse sur le plancher. J'étouffe un hoquet de surprise lorsque deux mains me saisissent par les épaules pour me sauver d'une vilaine chute.

— C'est bon, je te tiens !

Je redresse la tête pour apercevoir Travis qui me remet sur pieds. Une fois que j'ai retrouvé mon équilibre, il avise mon chandail qui me colle comme une deuxième peau, ainsi que mes cheveux qui dégoulinent au sol et mon corps tremblant de froid.

— Tu vas bien ? Qu'est-ce qu'il a fait ? Tu veux que je m'occupe de lui ?

Ses traits se tendent et sans vraiment enregistrer ses paroles, j'opine pour le rassurer. Erreur de jugement.

— Oui quoi ?! Il a dépassé les bornes ou tu vas bien ?!

Son timbre descend d'une octave, prêt à foncer dans la pièce pour me rendre justice au moindre mot de ma part. S'il ne s'agissait pas de son pote, je n'ai aucun doute qu'il lui ferait déjà la peau présentement.

J'ouvre la bouche pour lui répondre, mais un mouvement par-dessus son épaule m'interrompt. Je jette un rapide coup d'œil vers Dean, qui se tient à deux mètres derrière mon ami, une main contre son nez, où des filaments de sang s'écoulent entre ses jointures. Je fronce les sourcils devant son état, ce qui lui arrache un sourire grimaçant.

— J'espère que votre tête-à-tête en valait la peine ; je viens de me faire éclater le nez pour vous.

— Tu n'avais qu'à ne pas me retenir ! s'insurge Travis.

— Tu surréagis. Tu vois bien qu'il ne lui a rien fait à ta petite protégée !

Pendant que les deux se prennent la tête, mon attention bifurque vers la salle de bain, là où on entend toujours l'eau ruisseler. Je réalise que Kayden avait laissé la porte grande ouverte, donc n'importe qui aurait pu intervenir à tout moment, tout comme j'aurais pu m'échapper plus tôt. Si je n'étais pas restée paralysée par la tension qu'il dégageait...

Travis doit remarquer mon trouble, puisqu'il tente de capter mon regard.

— Hailey ?! Tu veux que je fasse quelque chose ?

J'hésite pendant une seconde, la tête en vrac.

— Fais juste sortir tout le monde...

Ma voix est presque inaudible, mais pas suffisamment pour l'empêcher de m'entendre. Il se crispe, se retenant probablement de foncer dans la pièce dont je sors pour décorer le carrelage du sang de son pote.

Sans m'attarder, je le contourne pour me diriger vers l'escalier, mais il me retient :

— Tu te changes et je te rejoins après ?

— Non, je veux être seule.

Même si ça ne risque pas de lui plaire, je me dirige vers ma chambre avec l'intention de m'y réfugier pour le reste de la soirée.

Le carnage de Kayden me rappelle bien vite la raison de notre confrontation sous la douche. Avec les couleurs verte et rouge qui recouvrent jusqu'à mes murs comme un papier peint bas de gamme, ma chambre ressemble à un foutu sanctuaire pour le père Noël.