9.5 Rien à foutre

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Kayden


Quarante minutes.

C'est approximativement le temps que Travis a pris avant de revenir.

Ses traits faciaux tirés à son paroxysme, il semble dans un sale état émotionnel. Bien franchement, je ne pige rien à ce qui vient de se produire, mais ça ne me plaît pas. Pire encore, ça me fout le bide à l'envers.

Contrairement à ce que Hailey se plaît à dire, je ne suis pas stupide. J'ai toujours su qu'un truc clochait, mais je songeais plutôt à une aversion des foules, rehaussée par le comportement surprotecteur de son pote et possiblement une rupture qui l'avait profondément blessée, au point de détester toute la gente masculine. J'étais loin du compte, je crois.

Puisque je me tiens dans le salon, je suis le premier que Travis aperçoit une fois qu'il a passé la porte. D'un regard lourd de sens, je sais qu'il veut savoir où elle se trouve et surtout, dans quel état. D'un geste du menton, je désigne la cuisine.

Bien que je lui ai laissé de l'espace, je garde Hailey dans ma ligne de mire depuis qu'elle s'est levée. Il faut dire que, pendant les cinq premières minutes, j'ai cru qu'elle allait chuter à nouveau tant ses jambes flageolaient. La vache, elle venait tout de même de révulser des yeux juste devant moi !

Crise de panique, mon cul. Elle était carrément en état de choc, mais je n'avais pas besoin de le lui dire. Son regard partagé entre ce besoin criant qu'on l'aide et cette lueur lointaine qui l'empêchait de revenir à elle, il était plutôt évident que son trouble surpassait la simple angoisse.

Dès qu'elle s'est remise sur pieds, elle s'est dirigée vers la salle-de-bain pour constater son apparence de déterrée larmoyante et depuis, elle reste à la cuisine. Elle m'évite sciemment. J'ignore si c'est parce qu'elle a peur que je lise en elle la source de ses peurs ou si c'est plutôt la proximité que j'ai dû établir pour la ramener à elle qui la perturbe. Pour ma défense, j'étais complètement paumé et... j'en sais rien, j'ai agi par instinct. Je me plantais ou je l'aidais, il n'y avait rien à perdre.

D'un pas hésitant, Travis se rend jusqu'à la cuisine. Sa démarche me laisse presque croire qu'il a peur d'elle. Peut-être doute-t-il qu'elle s'effondre ? Il arrive un peu tard pour ça.

Appuyée contre le comptoir, elle tient un verre d'eau entre ses mains. Même depuis ma place, je décèle de petites vagues se créer à la surface du liquide, causées par ses tremblements persistants. Obnubilée par ces secousses, elle ne semble pas remarquer le retour de son ami. Jusqu'à ce qu'il lui parle.

— Je ne l'ai pas vu, Hailey, dit-il d'un ton abattu.

Je me retiens de hurler pour savoir de qui il s'agit et quelle est la source de ce putain de tourment qui semble les gruger tous les deux. Tout comme la langue me brûle de l'avertir qu'elle a bien failli perdre connaissance dans mes bras, donc il devrait peut-être retourner faire un tour du quartier pour trouver cet enfoiré qui lui a foutu une telle frousse. Mais je la vois hausser les épaules, comme si cela était sans importance.

En retrait, j'observe Travis l'enlacer pour la consoler.

— Tu vas bien ? s'enquiert-il.

— Je suis un peu secouée, mais ça va, balbutie-t-elle.

Putain de menteuse.

Putain de naïf.

Quand elle m'a demandé de ne pas en parler à son pote pour sa crise d'angoisse, ça m'a emmerdé. Je n'ai aucun souci à garder un secret, ça ne serait pas mon premier, mais son état démuni est plutôt flagrant et je ne comprends pas pourquoi elle s'imagine devoir le cacher. J'avoue que j'en reste un peu stupéfait de voir qu'elle tient debout après la réaction qu'elle a eu, mais j'ai du mal à croire que Travis n'y voit que du feu.

Les abîmes du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant