Les abîmes du passé

31. Les pieds sur terre

Kayden

Je me sens comme une merde.

Le corps atrocement courbaturé après ma chute. La crainte au bide face à tout ce qui m'échappe. Les pensées si en ébullition que je risque de frôler l'anévrisme. Et le palpitant en défaillance sous l'appréhension.

Je ne sais pas ce qui m'a pris. L'adrénaline, certainement. Il y avait aussi autre chose dans ses yeux, dans le fait qu'elle ait sauté pour me rejoindre malgré son copain qui était en haut de la falaise à vouloir me retenir, qui m'a fait flancher.

J'ai demandé à Hailey de me choisir, bordel.

Alors qu'il y a quelques jours, elle m'a spécifiquement demandé de ne pas le faire. Mais... tout est différent maintenant, n'est-ce pas ? Je sais que je lui plais, et il est évident qu'elle cherche à se libérer du fardeau que Miguel représente dans sa vie.

Le problème, c'est qu'elle ne m'a pas répondu.

Je crois que je l'ai perturbé. Il faut dire aussi que Trenton s'est décidé à nous suivre, tout comme Dean, Travis et Kelinn, à la différence que le premier nous a presque percutés dans sa chute. Ça casse un peu l'ambiance intimiste.

Me voilà donc à errer comme une âme perdue depuis notre retour au chalet et je déteste ça.

Je n'aurais pas dû lui balancer cette phrase !

Je sais qu'il y a encore trop de non-dits entre nous. Trop d'obstacles. Trop de tout. Mais je n'en peux plus de me restreindre.

Par chance, notre séjour au chalet tire bientôt à sa fin. Une fois de retour en ville, j'espère trouver une solution pour qu'Hailey ne m'échappe pas.

Depuis la véranda, j'observe les autres au loin. Plus précisément, elle. Ses cheveux blonds dansent au gré du vent, lui conférant un petit air plus sauvage qui éveille en moi le désir de l'embrasser. Le soleil a caressé sa peau d'ivoire si souvent ces derniers jours que son teint est légèrement plus rosé. Elle est belle. Si belle que je comprends parfois pourquoi elle se sent si vulnérable.

Parce que dès que je la vois, je le deviens moi aussi.

À quelques reprises, elle jette un coup d'œil vers le chalet, comme si elle attendait quelqu'un et je ne peux qu'espérer qu'il s'agisse de moi. Je brûle d'envie d'aller la rejoindre et de happer ses lèvres des miennes pour la revendiquer devant tous les autres. Enfin mettre un terme à cette attente qui me rend un peu plus à cran chaque jour, au risque qu'elle me rejette définitivement.

Elle n'a rien dit parce qu'elle n'en a pas eu l'occasion, mais... pourrait-elle me choisir ?

— Pendant que tu te la jouais mission suicide hier, j'ai eu l'opportunité de discuter avec ta copine sur la falaise. Du moins, si on peut vraiment l'appeler comme ça.

Mes muscles dorsaux se tendent en captant une voix derrière moi.

Sans me retourner, je sais que Miguel est là et je continue de scruter la petite blonde au loin, tentant d'ignorer l'autre nuisance avant que mon sang ne se mette à bouillir. Parce que ce n'est pas l'envie d'en découdre avec lui qui me manque. Peut-être qu'avec quelques dents en moins, il arrêterait de vouloir se confronter à moi. Le souci, c'est que Hailey ne me le pardonnerait pas.

Elle dit qu'elle veut éviter les drames, alors que je trépigne d'y sauter à pieds joints. Pourrait-elle vraiment me choisir ?

— Je te conseille de te barrer avant que je ne perde patience, l'avertis-je.

— Tu aimes bien montrer les crocs pour te sentir tout puissant, pas vrai ? me provoque-t-il. Tu essaies de jouer avec sa tête pour lui faire croire que je ne suis pas assez bien pour elle. Mais sait-elle qui tu es vraiment, ou plutôt, de quoi est fait ton sang, Kayden Reynolds ?

La façon dont il prononce mon nom me fait tiquer et sans pouvoir m'en empêcher, je lui lance un regard sombre par-dessus mon épaule.

— Tu as bien compris ; Laurie m'a partagé ton petit secret.

Je reste interdit, encaissant ses mots avec l'impression qu'on pose une lame contre ma gorge. Parce qu'elle vient de lui refiler la seule arme qu'elle détient contre moi, pas vrai ?

Qu'est-ce qu'elle manigance encore cette sale vipère ?

Son sourire caustique me laisse rapidement comprendre qu'il déchiffre l'angoisse qui rampe sous mes veines et qu'il compte bien l'user à son avantage.

— Voilà ce qui va se passer, m'annonce-t-il d'une voix menaçante. Tu vas nous foutre la paix et partir d'ici. Tu ne poseras plus un seul regard sur elle.

— Sinon quoi ?

Il sourit fièrement, comme s'il espérait que je le demande.

— Sinon je serai obligé de lui révéler quel genre de monstre tu es et sois sûr qu'elle se jettera dans mes bras dès qu'elle l'apprendra. Je me ferai une joie de la consoler en lui rappelant que je suis le seul qu'il lui faut.

Je suis certain qu'il jubile à cette idée, l'épave !

Je le déteste, putain. Je le déteste de toute ma foutue âme.

Mais je me déteste encore plus.

— Tu es dangereux pour elle, m'achève-t-il. Même sans te connaître entièrement, au fond de son être elle le sait. Pourquoi tu crois qu'elle m'a choisi ? Pourquoi est-ce que c'est à moi qu'elle a demandé de la rejoindre sur la plage en ce moment même et pas toi ? Elle ne voudra jamais de toi.

Je sais que c'est ce qu'il souhaite, mais il réussit à s'infiltrer dans ma tête. Et si hier je me suis jeté dans le vide pour elle, aujourd'hui je retombe les deux pieds sur terre. Mon visage se décompose et une douleur aiguë me traverse la poitrine.

Elle lui a vraiment demandé de passer du temps avec elle aujourd'hui ? Malgré ce que je lui ai dis à la falaise ?

— Je vais profiter de la journée avec ma copine. À notre retour, j'espère pour toi que tu ne seras plus là.

Victorieux, Miguel se barre vers la porte, sachant très bien que je ne riposterai pas cette fois.

Après tout, pourquoi voudrait-elle de moi ? Je suis impulsif, elle croit que je fréquente sa soeur et même si elle l'ignore pour l'instant, je suis le fils d'un putain de criminel. Je suis synonyme de problèmes. Tout ce qu'elle craint et fuit.

Elle avait raison à mon sujet depuis le premier jour, elle n'aurait jamais dû me faire confiance.

Je devrais partir avant de faire une autre connerie.

Mais je fais rarement ce qui est le plus censé.