Amélia

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Gilbert et Marie-Thérèse avaient une petite chatte siamoise, répondant au doux nom d'Amélia. L'année de mon arrivée à Handas, ils cherchèrent une personne pour s'en occuper pendant les grandes vacances. Ils téléphonèrent au foyer à la recherche d'une bonne volonté parmi les résidents pour s'acquitter de cette tâche. Après une courte (très courte !) réflexion, je me proposai, ainsi qu'un autre de mes camarades. Malgré l'insistance de Josée, l'éducatrice, sur la responsabilité et les corvées qui nous attendaient, je ne changeai pas d'avis et téléphonai à Gilbert pour lui annoncer que je me chargerais d'Amélia. Il me dit qu'il était content que ce soit moi et me proposa de me la confier le temps d'un week-end pour que je me rende mieux compte des difficultés que je ne manquerais pas de rencontrer.
Le vendredi arriva. Je tournai en rond toute la journée dans l'attente de l'arrivée de Gilbert et d'Amélia. Du haut de mes dix-sept ans, je prenais cette mission de confiance très à cœur et ne pensais plus qu'à ce week- end pas comme les autres. Ils arrivèrent enfin dans la soirée. Amélia, un peu perdue, fit prudemment le tour de ma chambre. Gilbert posa son pull-over sur mon lit pour que l'animal sente son odeur familière. Il me quitta non sans m'avoir annoncé son intention de reprendre les ateliers de musique à la rentrée. Je lui adressai mon plus beau sourire.
Lorsque vint l'heure du coucher, Amélia était en boule à côté du pull-over de son maître. Je me déshabillai dans la salle de bains et eus la surprise de voir la chatte arriver près de moi. Nous avions déjà commencé à nous apprivoiser l'une l'autre. Elle se coucha à mes pieds dans le lit, mais, au milieu de la nuit, je sentis Amélia se blottir contre moi en ronronnant. Elle resta là jusqu'à l'aube. Puis, je passai la majeure partie de la matinée à m'en occuper et rassurai Gilbert lorsqu'il prit de ses nouvelles par téléphone. L'après-midi, je m'allongeai pour écouter de la musique. Amélia grimpa aussitôt sur ma poitrine et s'y étala de tout son long en ronronnant et en fermant les yeux. Le dimanche, je décidai de faire un peu de broderie. La tâche s'annonçait difficile. Amélia jouait sans cesse avec les écheveaux de coton et appréciait de tirer sur tous les fils passant à sa portée. Je n'ai pas beaucoup avancé sur mon ouvrage ce jour-là !
Marie-Thérèse et Gilbert vinrent rechercher Amélia dans la soirée, me donnant trente francs pour la garde. J'étais contente d'avoir un peu d'argent de poche, mais ce n'était rien à côté du bonheur qu'ils m'avaient donné en me faisant confiance. Je me sentais utile et en retirais une immense satisfaction.
Puis, l'été arriva. En juillet, je passai trois semaines chez mes parents, avec mon frère et ma sœur. Puis, je regagnai le foyer, inquiète. Ma grand- mère venait d'être admise à l'hôpital et je me faisais du souci pour elle. Pour tromper mon angoisse, je profitai
du nouveau fauteuil que j'avais reçu en juin pour sortir en ville et me promener. Mais je n'allais pas rester longtemps à ne rien faire. Gilbert ne tarda pas à revenir avec Amélia qu'il me confia pour deux semaines, cette fois-ci.
Je pris cette nouvelle mission avec autant d'enthousiasme que la première. Je rangeai ma chambre et demandai à mon éducateur de relever mes rideaux. Puis, j'accueillis Gilbert sur le pas de la porte et installai les affaires d'Amélia. Il me parla de musique et d'Amélia. Je compris à ses mots combien l'animal comptait pour lui et combien il l'aimait.
Dès le premier soir, Amélia, sereine, retrouva ses habitudes. Elle me plaisait tant, cette petite chatte douce et affectueuse. Que de beaux moments j'ai partagés avec elle ! J'aimais nos jeux, bien que parfois, emportée par l'excitation, elle se montrait brutale. Je riais de la voir s'asseoir devant la porte en dressant les oreilles quand elle entendait un bruit dans le couloir. Quand je faisais ma toilette, elle escaladait mon fauteuil roulant et sautait sur le bord du lavabo sans manquer de me faire sursauter à chaque fois ! Elle sautait même dans le lavabo pendant que l'eau coulait. Je lui disais : « Tu es folle ! », mais elle ne bougeait pas. Que pouvais-je faire, à part attendre que la belle daigne enfin quitter les lieux ?
Le soir, il m'arrivait de la promener en laisse autour du foyer. J'aimais nos promenades à l'extérieur. Mais un matin, nous fîmes une mauvaise rencontre.
Deux éducateurs étaient là avec leurs bergers allemands. Voyant Amélia, ils rappelèrent leurs chiens, mais trop tard. Nez à nez avec les chiens, Amélia souffla. Les chiens aboyèrent. Paniquée, Amélia sauta se réfugier sur moi, me griffant le visage au passage. Bruno, un de mes camarades, tenta de la pousser du bras pour me protéger. Elle se retourna contre lui. Le frère de Bruno eut la présence d'esprit de détacher la chatte et réussit à la faire rentrer dans ma chambre. Josée soigna mon visage, ma main et mon épaule. Plus de peur que de mal, mais quelle étrange sensation de voir Amélia me sauter au visage !
Une virée entre résidents était prévue à Cournou, dans le Lot. Cette escapade me tentait, mais que faire d'Amélia ? L'emmener, bien sûr ! Je préparai les affaires de camping et montai à l'avant de la camionnette, Amélia sur mes genoux. Rapidement, elle choisit de s'installer sur ceux... du conducteur! À l'arrivée, le campement fut monté et le dîner préparé. Plus tard, nous décidâmes de nous promener. J'enfermai Amélia dans la tente et nous partîmes sur le chemin. Mais rapidement, je me rendis compte qu'Amélia, profitant d'un petit trou dans la tente, s'était échappée et nous suivait discrètement ! Le séjour se déroula sans incident et Amélia se révéla un animal facile et doué d'adaptation.
Étant petite, je craignais les chats, ayant eu une mauvaise expérience avec un chat de la famille. Mais Amélia sut très vite gagner ma confiance et me
réconcilier avec la gent féline. Je la considérai comme une amie, veillant à ce qu'elle ne manque de rien. Après son départ, je ressentis un grand vide et me promis que plus tard, c'est juré, j'aurais un chat rien qu'à moi !
Quelques jours plus tard, je découvris un objet insolite en rentrant dans ma chambre. Une cage toute neuve trônait sur le bureau. La cage semblait vide. Mon éducatrice eut alors cette phrase mystérieuse : « Attends ce soir, Patoune, tu verras ! ». J'attendis, intriguée. Et le soir venu, un petit bruit émanant de la cage attira mon attention. Un petit animal fit son apparition, timidement. C'était un joli petit hamster femelle que les éducateurs m'offraient en remerciement de mon dévouement envers Amélia. Je l'appelai Pifounette. La journée, je laissai Pifounette vagabonder dans la chambre, jusqu'au soir où je devais appeler quelqu'un pour remettre l'animal dans sa cage. Jusqu'au jour où je vis Pifounette, sans doute fatiguée, grimper sur le pneu de mon fauteuil, puis escalader les rayons de la roue pour enfin grimper sur mes genoux. Elle prit cette habitude chaque jour, me permettant de la remettre dans sa cage toute seule. Une grande complicité était née pour mon plus grand bonheur.

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