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Sidjil s'était attendu à ce que le trajet soit autant désagréable qu'interminable. Ça fait bien longtemps maintenant qu'il ne s'est pas autant exposé alors il avait anticipé que les quelques heures de trajets pourraient se montrer difficiles à supporter.

Jamais il n'aurait pu se douter que les six heures à passer à bord de ce train seraient aussi infernales.

D'abord, il y a le bruit ambiant constant qui grignote sa patience. Le ronronnement étouffé de la machinerie et le son des wagons frottant contre les rails dont les vibrations se propagent jusque dans les vitres, le sol et les fauteuils. Sidjil a la désagréable impression qu'elles parviennent à infiltrer les semelles de ses baskets et remonter le long de ses jambes, veillant autant que possible à ce qu'il ne trouve aucun confort.

Ensuite, par-dessus cette sous-couche persistante et désagréable, vient le bruit des gens tout autour de lui. Les familles qui jouent pour tuer le temps, les enfants qui crient sans vergogne, les bouches affamées qui mastiquent sans honte, les pages de magazines tournées d'un violent coup de doigt... Sans parler des casques et écouteurs qui diffusent chacun leurs univers audios à des volumes loin du raisonnable. Dans la rangée face à lui, Sidjil décèle sans peine des paroles de rap, un podcast politique à la limite du moral et un livre audio compté d'une voix monotone. Le tout se mélange dans sa tête dans une bouillie auditive abjecte qu'il aimerait faire disparaître.

Dans son malheur, Sidjil savoure tout de même que son nez soit maintenant suffisamment anesthésié pour ne plus sentir toutes les odeurs censées accompagner ces sons oppressants. Sans parler des parfums nauséabonds lâchés par certains se pensant discrets.

S'il avait encore une once de bonne humeur, il rirait de la peur éprouvée le matin même à l'idée de s'endormir par mégarde. Dans leur crainte, Manas et lui avaient monté tout un plan au cas où il se serait mis à piquer du nez, nécessitant autant d'accessoires farfelus que de jeu d'acteur convaincant. Maintenant, l'idée même de fermer un œil lui paraît impossible.

Comme un tintement de timbale au milieu du capharnaüm qui ne joue que pour lui, un jappement fend l'air, faisant tressaillir Sidjil dans son siège.

Assise sur le fauteuil qui lui fait face, la petite vieille avec qui il partage le carré de siège lève les yeux par-dessus ses lunettes et lui adresse un regard d'excuse. À côté d'elle, coincée entre la table et la vitre, la caisse de transport rose s'ébranle à nouveau, laissant échapper un aboiement strident.

Dans un fracas métallique, le chien au corps rachitique et aux poils hirsutes s'écrase contre la porte grillagée de sa cage. Ses yeux globuleux et injectés de sang fixent fébrilement Sidjil et Manas dans des allers-retours tremblants. Une nouvelle série d'aboiements incontrôlés s'échappe du roquet et Sidjil grimace en voyant la petite bête repartir en tête-à-queue paniqués à l'intérieur de sa boite criarde.

— Encore pardon, jeune homme. Le vôtre le rend un peu nerveux, je pense. Il est si docile d'habitude, je vous assure... La vieille femme tapote doucement le toit de la cage en lui adressant une expression désolée, n'apportant qu'un soutien relatif à l'animal de compagnie en proie à une détresse évidente.

Sidjil hoche la tête en esquissant un sourire poli, tentant d'accepter les excuses de sa voisine sans pour autant lancer une conversation entre eux. Évidemment, les lèvres trop maquillées s'ouvrent à nouveau, faisant naître en lui un désespoir profond. Bien sûr, ça aurait été trop facile. Et puis, qu'est-ce qu'une voix de plus à supporter, en fin de compte...

— Je n'osais pas vous déranger, mais vu que l'on discute, est-ce que je peux vous demander quelle race c'est ? relance la vieille dame en observant le siège jumelé à celui de Sidjil. Il est vraiment magnifique.

Instinct [Maxime&Djilsi]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant