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Charles se fit réveiller par les rayons du soleil qui réchauffaient son poil au travers de la grande fenêtre sous laquelle il s'était installé la veille. Dehors, les oiseaux chantaient. Une odeur à laquelle il ne s'était plus habitué depuis des mois — peut-être même des années —, emplit bien vite ses narines.
Son maître était endormi sur son bureau de bois. Ça faisait bien longtemps qu'il n'avait pas eu l'air aussi paisible. Son buste s'élevait et s'abaissait à une allure douce, régulière. Là, la tête entre ses bras croisés, il paraissait être confortablement installé. Au sol jonchaient plusieurs pages noircies d'encre encore fraîche. C'était cette odeur, mélangée à celle du café froid, une odeur caractéristique des nuits d'inspiration presque démente de Christopher Bahng.
La veste de l'homme, d'habitude si soigneusement rangée dans l'armoire de l'entrée, avait été abandonnée sur le dossier de son fauteuil comme un linge qu'on aurait jeté. De même, les chaussures cirées se trouvaient de part et d'autre du bureau.
Chan avait été pris d'une envie si irrépressible de laisser son esprit exploser en des milliers de mots aux couleurs les plus belles qu'il n'avait pas même pris le temps de se déshabiller correctement, ce qui n'était pas dans ses habitudes.
Le canidé s'approcha de lui et se frotta affectueusement à sa jambe, ce qui ne tarda pas à faire papillonner ses paupières. Il fallut quelques minutes à Chan pour que le doux souvenir de sa balade nocturne ne réapparaisse dans son esprit, et qu'il réalise ce qu'il s'était produit ensuite. Il se tourna vers son chien, l'air perplexe, et celui-ci se hissa sur ses cuisses.
— Cette nuit, j'ai écris la plus belle des poésies. il souffla à la petite boule de poil dont les grands yeux bruns l'observaient.
Ses mains s'étaient déposées contre son dos et s'étaient mises d'elles-même à gratouiller gentiment le flanc de l'animal, qui en fut ravi.
Le regard de l'homme, encore fatigué, embrassa son environnement des yeux. Plus d'une dizaine de pages pleines à craquer de pensées secrètes et délicates. Lui-même n'arrivait pas à y croire. Cela faisait des mois qu'il n'avait pas réussi à aligner deux phrases qui prennent sens à ses yeux, et voilà qu'il avait terminé, en une nuit, une nouvelle poétique des plus sublimes, si ce n'était la plus sublime qu'il n'avait jamais écrite.
Il attrapa l'une des pages, et après avoir seulement lu quelques mots, son regard se perdit dans le vide.
— Je ne peux pas publier ça... il souffla.
Il ne pouvait pas publier ça. C'était absolument inédit, jamais de sa vie, il n'avait écrit de la sorte. Mais surtout, jamais de sa vie il n'avait écrit sur une quelconque réelle personne.
Il ne pouvait pas publier ça, car indéniablement, quelqu'un finirait par se reconnaître dans ses mots.
ᝰ
'chère trudie. pardonne ma soudaine absence. hier, durant la nuit, mon esprit a été emporté par les méandres de l'obsession passionnée. j'ai pu poser tous les mots les plus beaux sur une voix et sur son propriétaire. ses cheveux étaient noirs et soigneusement bouclés, ses épaules rondes, et sa taille délicate. ses doigts étaient fins, longs, et sa peau dorée sur laquelle la lune pouvait tout de même se refléter.
une mélodie dont je ne soupçonnais pas l'existence ne quitte plus jamais mon esprit.
je me demande à quoi ressemble son visage, si le ton de sa voix lorsqu'il s'adresse à quelqu'un est aussi mélodieux que lorsqu'il chante. je me demande si il a le pouvoir de réchauffer le cœur, lui aussi, ou si ce fut-ce seulement l'œuvre de ses notes agréables.
je me demande si je le reverrai un jour... pour être tout à fait sincère, j'en caresse l'espoir.
