O négatif (1/3)

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Il est exactement 23h15 lorsque je regarde mon téléphone. Ça y est, c'est l’heure ! Je suis tellement stressée que j’en tremble. Quand je pense qu'hier encore, je ne me serai jamais cru capable de faire une chose pareille... Mais bon. Ce n'est pas le moment de tergiverser. J’attrape mon sac à dos, dissimule mon visage sous ma capuche et souffle un bon coup. Ok, c'est parti.

Aussitôt dehors, le froid me picote la peau. Je regrette de ne pas avoir enfilé une veste supplémentaire. Je jette un œil aux alentours pour m’assurer que personne ne me voit et entame une marche rapide. Il n'y a pas un chat à l'horizon ! C'est parfait, quoique pas très rassurant. J’ai beau savoir où je vais, mon cœur palpite à 100 à l’heure. Je sais que je m’apprête à faire une connerie, que je risque gros… Au mieux, je finis avec un séjour en taule. Au pire, je gagne un tête-à-tête avec la Mort. C'est clair, la connerie humaine me perdra.

Je continue mon chemin sur une route qui serpente à travers la forêt. La ville disparaît peu à peu sous mes yeux, pour mon plus grand soulagement. Je vérifie à nouveau que personne ne m’a vue et m’enfonce davantage dans la pénombre. Le spectacle angoissant des branches d’arbres dansant sous la lune me fous la chair de poule. J’ai l’impression d’être Blanche-Neige, excepté que je ne me dirige pas vers une jolie chaumière avec des nains.

À mesure que je m’approche, mon pouls s’emballe. Mon pauvre cœur bat si fort que j’ai l’impression que la Terre entière pourrait l’entendre. Il faut que je me maîtrise.

- Ok, calme-toi. Respire... Dis-je à voix basse.

Je m’offre une minute pour reprendre mon souffle quand, tout à coup, un bruit de branche qui craque me glace le sang. Je frôle la crise cardiaque tout en orientant mon regard vers la zone concernée. J'entends quelque chose courir et comprends qu’il s’agit d’un petit animal. Un rongeur, probablement. Furieuse, je peste entre mes dents et reprends la marche jusqu’à mon objectif.

Après ce qui me semble être une éternité, j’arrive enfin à destination. L’énorme bâtiment se tient devant moi, éclairé uniquement par les rayons lunaires. Son architecture m'a toujours fasciné. Une telle classe en émane... Comme prévu, je ne distingue aucune lumière à l’intérieur. En regardant vers le portail, cette fois, j’aperçois deux gardiens qui font le guet. Leur présence à elle seule rend ma tâche extrêmement compliquée mais il est hors de question que j'abandonne.

Aussi, je repère l’arbre que j’avais découvert des mois auparavant et me dirige vers celui-ci à pas de loup. Je suis une grimpeuse pour le moins médiocre, mais c’est la seule solution que j’ai trouvée. Avec toutes les issues verrouillées et la présence des agents de sécurité, je n’ai pas le choix que d’essayer par là.

Face à l'écorce, je repense à toutes ces fois où je me suis entraînée. Je sais que je suis capable de le faire, mais étant donné mon niveau, la probabilité que je chute est très élevée. Je pose mon pied sur un nœud, me hisse et attrape une branche. Je répète l’opération à plusieurs reprises jusqu'à atteindre une certaine hauteur. Puis, alors que je m'apprête à monter davantage, mon pied glisse. Je parviens à me rattraper par je ne sais quel miracle et m’auto-félicite pour ma prestation. Une chute et j’étais cuite !!

Je grimpe jusqu’à atteindre la bonne hauteur et tourne la tête vers le balcon à ma droite. Bon… La partie la plus délicate. Il faut que je saute. Je regarde la porte-fenêtre et me mords la lèvre. Je ne sais même pas si elle est déverrouillée ! Et si elle ne l'est pas ? D’ailleurs, comment je fais pour descendre ? Je chasse ces pensées négatives et me place entre deux branches. La manœuvre est risquée, mais tant pis. Je prends une immense bouffée d'air et, prise d’un élan d’impulsivité, je saute.

- Aïe !

J’atterris sans aucune grâce sur le balcon. Me réceptionner avec mes mains était la pire idée, mes genoux ont touché le béton et j’ai du mal à me relever. Quelle conne ! Je me redresse tant bien que mal et masse mes articulations. J'entends un des gardiens s'esclaffer et me rappelle que ce n’est pas le moment de traîner. J’avale nerveusement ma salive, pose ma main tremblante sur la poignée, et appuie dessus délicatement. La porte s'ouvre. Non, j’ai réussi ?! Génial !!! Plus personne ne peut m’arrêter ! Je me faufile et referme discrètement derrière moi.

À l'intérieur, l'obscurité m'accueille. Je retire l’une des sangles de mon sac à dos et glisse ma main dans le contenant pour en extraire une petite lampe torche. En l’allumant, je constate que je suis dans un grand couloir. Le sol est tapissé, le papier peint de très bon goût et les murs comptent une multitude de chandeliers dorés aux motifs complexes.

- On se fait plaisir... dis-je à voix basse.

Bon, il est grand temps d’accomplir ce pour quoi je suis ici. Je me redonne une dose de courage et marche lentement dans le couloir. Je ne sais absolument pas où aller ni par quoi commencer. J'aurai peut-être dû y penser avant. Encore un peu et on se croirait dans un film d’horreur. Tandis que j'imagine 1001 façons de me débarrasser d'un fantôme, ma lampe torche se met à déconner.

- Non, non, non…

Je rêve ! Je l’ai achetée il y a à peine deux jours. Qu’est-ce que c’est que cette merde ?! Je la tapote le plus discrètement possible, mais elle s’éteint. Je fulmine. Ce n’était absolument prévu et évidemment, je n’ai pas de plan B. Comment je vais faire maintenant ?! Je m’acharne sur ma lampe pour tenter de la faire fonctionner lorsqu’une voix sortie de nulle part s’élève un peu plus loin.

- Hey !

Je sursaute et découvre deux hommes. Un très grand, l’autre un peu moins. La lumière du dehors ne me permet pas de distinguer leur visage, ce qui m'angoisse au plus haut point. Si je m’attendais à tomber sur deux individus en même temps ! C'est vraiment pas de bol.  Devant mon mutisme, le plus petit des deux s’approche.

- Tiens tiens, qu’est-ce qu’on a là ? Tu t’es perdu, ma jolie ?

Merde.

Fantasmes et rêves interditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant