Derrière le masque (4/5)

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Le bus nous dépose dans un charmant petit hameau, tout près d'un lac. Je suis tout de suite frappée par la sérénité de l'endroit. Quelques canards font trempette, les fleurs sauvages dansent sous les rayons du soleil et une grande forêt surplombe les alentours.

- C'est laquelle ta maison ? demandé-je
- Il faut marcher un petit peu, répond-il en me prenant par la main pour m'entraîner avec lui.

J'acquiesce et lui emboîte le pas. Nous dépassons bientôt toutes les habitations, à tel point que j'en viens à me demander s'il habite vraiment dans le coin. Quand nous atteignons une route bordée d'arbres denses, je ne peux m'empêcher de l'interroger.

- Samaël, on va vraiment chez toi ?

Visiblement surpris par ma question, il hausse les sourcils avant de baisser la tête vers moi.

- Bien sûr. Qu'est-ce que tu t'imagines ?
- Ben, j'ai pas l'impression qu'il y a une maison dans le coin...

Soudain, un grincement sonore me fait sursauter. Samaël vient d'ouvrir un imposant portail en fer forgé que je n'avais même pas remarqué. La présence de rouille sur la peinture et les motifs anciens qui le caractérisent m'indiquent qu'il date d'une époque révolue. Sur les piliers qui l'entourent, deux grosses lanternes recouvertes de lierre semblent elles aussi usées par le temps. Tout ça ne me dit rien qui vaille... Plus que le crissement sinistre d'un corbeau et on se croirait dans un film d'horreur.

- Tu viens ? m'invite-t-il.
- Oui, pardon.

Je passe le portail qu'il referme derrière lui et nous progressons sur un petit chemin boisé où chaque arbre semble avoir été planté à intervalles réguliers. De petits anges sculptés dans la pierre sont dissimulés dans la végétation. L'un d'eux tient son visage entre ses mains et me regarde avec un air rieur. Je fais au mieux pour dissimuler mon malaise lorsque la voix de Samaël me sort de mes pensées.

- On est arrivés.

Je lève les yeux et découvre avec stupéfaction l'immense résidence à trois étages qui se dresse devant moi. J'y crois pas ! Il vit dans un manoir ?! J'ouvre grand la bouche et contemple l'architecture victorienne du bâtiment. Les nuances verdâtres couplées aux pics en fer forgés sur les toits lui ajoutent un côté gothique très appréciable. Les murs sont recouverts de planches en bois couleur crème, les toits mansardés habillés de bardeaux sombres. Rapidement, je suis comme hypnotisée par la majestueuse tourelle qui se tient à l'extrémité du manoir, sur ma gauche. En l'observant plus attentivement, je découvre une adorable petite fenêtre rectangulaire qui se trouve sur son toit. D'ailleurs, rien que sur la façade du premier étage, je ne compte pas moins de 8 fenêtres.

Je suis tellement charmée par ce que je vois que je bute contre une lanterne. Samaël s'arrête devant la fontaine en pierre au milieu de la cour et tourne la tête vers moi.

- Ça va ?
- Oui oui ! Désolée. C'est juste que... Wouah, c'est magnifique !

Il sourit et s'approche de moi pour me prendre la main et éviter une catastrophe.

- C'est une vieille maison. Elle est transmise dans ma famille de génération en génération.
- Quand est-ce qu'elle a été construite ?
- Au XIXème siècle, je crois. Je ne saurai pas te dire quand exactement...

Je regarde la porte d'entrée en bois massif, puis la grande tour rectangulaire qui se tient au-dessus. Un balcon recouvert d'un toit vert émeraude semble sortir de cette dernière. Je ne sais pas combien vaut cette maison, mais elle doit avoisiner les 7 chiffres... Nous atteignons le porche puis la porte sur laquelle se trouve un magnifique heurtoir doré en forme de tête de lion. Samaël extirpe une vieille clé de sa poche qu'il insère dans la serrure.

- Après toi.

Il m'ouvre et j'entre. L'obscurité ambiante ne me permet de distinguer qu'un feu de cheminée qui crépite gentiment jusqu'à ce que Samaël allume la pièce. Une multitude d'appliques murales en forme de fleurs se mettent alors à briller, révélant un papier peint verdâtre, orné de délicats motifs dorés. J'avance sur le sol carrelé et m'approche du centre de la pièce. En face de moi, un immense escalier en bois sombre recouvert d'un tapis cramoisi se divise en deux parties. À ma droite, une petite table entourée de fauteuils en cuir sert de coin lecture. Les étagères débordent de livres anciens. Je lève les yeux pour observer le plafond et les nombreuses poutres qui le soutiennent. Tout est magnifique. En me concentrant sur mon odorat, je reconnais l'odeur du bois ancien, semblable à ce qu'on peut sentir en visitant un château.

- C'est incroyable ! Je n'aurai jamais pensé mettre les pieds dans une maison comme celle-ci, dis-je en direction de Samaël.

- Rien n'est trop beau pour ma petite princesse.

Je baisse les yeux et rougis. Il dépose un baiser sur mon front et effectue un bref signe de tête en direction de la cheminée.

- On va s'asseoir ?
- Oui, avec plaisir.

Je le suis et prends place sur un fauteuil moelleux à souhait. Samaël récupère une grosse bûche dans un support à bois et la balance dans le feu.

- Tu veux quelque chose à boire ?
- Qu'est-ce que tu as ?
- Thé, café, jus d'orange, soda...
- Je veux bien un jus d'orange s'il te plaît.
- D'accord, je vais te chercher ça.

Il s'éloigne et j'en profite pour continuer à observer les alentours. Un lustre en bronze pend juste au-dessus de ma tête. Je commence à en admirer les finitions lorsqu'une pensée m'envahit. « Méfie-toi de Samaël, il porte bien son nom. » Mathias... Dois-je me méfier maintenant que je suis chez lui ? Est-ce qu'il serait capable de mettre de la drogue dans mon verre... ? Mais non, c'est ridicule ! Je soupire et porte une main à mon cou pour toucher l'anneau de mon collier. Je ne serai pas tranquille tant que je n'aurai pas de réponse. L'inquiétude me submerge, mais Samaël revient et je m'apaise aussitôt en voyant son visage angélique. Il me rend mon jus de fruits et repart dans la direction opposée.

- Où est-ce que tu vas ?
- Je vais mettre de la musique. Tu préfères rester sans, peut-être ?
- Non non, vas-y, tu as raison !

Je reporte mon attention sur la cheminée et suis surprise par la mélodie qui parvient à mon oreille. Du smooth jazz. Cette fois encore, j'ai l'impression que Samaël est bien plus mature que moi ou que ceux de notre âge. Il vient s'asseoir à côté de moi et profite de la chaleur dégagée par les flammes de la cheminée.

- Tu ne bois pas ? lui dis-je en constatant qu'il a les mains vides.

- Non, je n'ai pas soif.

Un pincement dans la gorge me saisit. Je regarde mon jus d'orange et me mordille la lèvre. Samaël remarque aussitôt que quelque chose me perturbe et prend la parole.

- Ça ne va pas ?
- Je... J'ai une question à te poser...
- Laquelle ?
- Ne te fâche pas, hein ?
- Tu m'as déjà vu me fâcher ?
- Quelqu'un est venu me voir pour me parler de toi.
- Ah oui ? Qui ça ? demande-t-il avec une expression parfaitement neutre qui me laisse stupéfaite.
- Euh... Un type de ta classe, je ne me souviens plus de son nom, mens-je.
- D'accord. Et qu'est-ce qu'il t'a dit ?
- Ben, il m'a dit comme quoi... tu portais bien ton nom. Je sais que ce n'est pas grand-chose, mais je n'ai pas compris ce qu'il voulait dire.
- Je vois. Et ça te tracasse ?

Je hoche la tête, honteuse. Il esquisse un sourire avant de hausser les épaules.

- Dans la mythologie hébraïque, Samaël est un ange. C'est sans doute pour ça ? Pour la même raison qu'on m'appelle Angel.

- Oh, c'est tout ?
- Je ne vois que ça en tout cas.

Je ne peux m'empêcher d'être perplexe. Si ce n'est que ça, pourquoi m'as-t-il dit de me méfier ? Se méfier d'un ange ? Ça n'a aucun sens. Je bois une gorgée de jus et regarde Samaël se redresser pour se mettre derrière moi. Ses belles boucles platine, presque blanches, tombent devant mon visage. Je lève la tête et croise son regard céruléen. Cette proximité soudaine me fait frissonner.

- Tu n'es pas sereine, je le vois.

- Désolée...

Ses lèvres douces se déposent sur mon nez et je me sens aussitôt coupable.

- Est-ce qu'un massage t'aiderait à te détendre ?
- Pour de vrai ?
- Hm-hm. Viens, on va dans ma chambre.

Mon cœur s'emballe et je me rappelle aussitôt pourquoi je suis venue ici à la base. Il recule et je me redresse timidement. Ma main trouve la sienne et nous traversons le hall pour monter les marches. 

Fantasmes et rêves interditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant