Chapitre 2

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Lundi 13 septembre 2011

Anaheim, Californie du Sud


Ça fait aujourd'hui un an que Maïlys a brusquement disparu de la vie de Noah. Ça fait aujourd'hui un an que Noah n'est plus que l'ombre de lui-même. Son corps est là, mais son esprit est ailleurs. Ce matin comme tous les matins depuis trois cent soixante-cinq jours, il se réveille haletant, en nage en se souvenant de la dure réalité : elle n'est plus là. Le trou béant qu'elle a laissé en partant se rouvre, son corps, son cœur, se désintègrent. Il se lève, n'adressant pas la parole à ses parents ni à son frère, ignorant les questions idiotes de sa mère « tu vas bien mon coeur ? ». Non, il ne va pas bien. Il sort de la maison sans même prendre de quoi manger et se rend à l'école. Ça fait quelques semaines qu'il y retourne. Avant, il passait ses journées à essayer de la retrouver, appelant ses quelques copines, allant dans tous les endroits où elle aurait pu se réfugier. Il allait voir la police toutes les semaines, interrogeait ses voisins, mais personne ne voulait l'aider. Personne ne pouvait l'aider.

Hier, il a enfin reçu sa fausse carte d'identité, celle qui va l'aider à entrer plus facilement dans les bars, dans les boîtes pour se vider la tête et faire enfin taire cette souffrance qui l'enveloppe jour et nuit. En finissant sa journée de cours, durant laquelle il n'a rien écouté – à quoi bon ? – il décide de prendre le bus en direction du centre-ville, sans passer par chez lui. Il entre dans un bar et grâce à sa carte d'identité et aux quelques poils qui lui sont poussés sur le menton, réussit à commander un whisky. Puis un autre. Il remarque que les serveurs installent un panneau à l'entrée. « Scène ouverte : qui que vous soyez, venez chanter et vous défouler ».

— Ridicule, dit Noah à voix haute en reprenant une gorgée.

— Presque autant que quelqu'un qui se bourre la gueule à 17h, rétorque la barmaid en nettoyant un verre avec son torchon.

Il ne répond pas, il sait qu'il est ridicule. Mais elle, elle ne sait pas ce qu'il endure au quotidien. Il se sent si minable, si inutile, si impuissant après avoir laissé partir la fille qu'il aime le plus au monde. Un bon à rien. Qui ne mérite pas d'être heureux. Noah s'en veut terriblement de ne pas avoir vu venir sa disparition, de ne pas réussir à comprendre pourquoi elle est partie. Alors il s'inflige une vie de débauche incapable d'autre chose que de s'apitoyer sur son sort. Il s'en veut de ne pas avoir pu l'empêcher de disparaître. Il la sent en danger, mais il ne peut littéralement rien faire. Et cette situation le rend fou. Après un verre de plus et deux ou trois personnes à s'être ridiculisées à chanter comme des casseroles sur scène, Noah décide de changer de bar.

— Tu devrais peut-être essayer, lance la barmaid à Noah. Tu as l'air d'avoir plein de choses à extérioriser...

Voilà que la barmaid a de la compassion pour Noah. Une nouvelle fois, il ne lui répond pas mais avant de quitter sa chaise, prend un moment pour y réfléchir. Qu'est-ce qu'il risque de toute façon ? D'être ridicule ? Il s'en fout royalement. Il lui était déjà arrivé de chanter pour accompagner un de ses morceaux de piano et il adorait composer pour écrire ensuite les paroles. Il avait fait ça pendant cinq ou six ans. Cela dit, il ne l'avait pas refait depuis un an. Depuis sa disparition. Et ce soir, ce n'est pas une de ses compositions qui lui vient en tête lorsqu'il s'imagine monter sur scène. Il se voit chanter « I Will Always Love You », la célèbre chanson de Whitney Houston, la préférée de Maïlys. Il l'interprétait souvent au piano pour elle avant. Sur un coup de tête et après avoir bu le fond de son énième verre cul-sec, Noah se lève en manquant de tomber de sa chaise et rejoint la scène, non sans difficulté. Il prend le micro et demande la mélodie de cette chanson magnifique. Les premières notes retentissent et Noah, submergé de peine, ferme les yeux et tente d'interpréter cette chanson du mieux qu'il peut. En ressentant chaque parole, chaque mot au plus profond de ses entrailles, en y mettant toute sa sincérité. Comme si Maïlys pouvait l'entendre. Comme si, au moment où il ouvrirait les yeux, elle serait là, devant lui.

C'est à cet instant que Jake, qui vient d'être promu, passe la porte du bar pour fêter son augmentation avec quelques collègues. Quand il entend la voix de Noah, il se fige. Comme toute la salle d'ailleurs. Il a beau travailler dans le milieu musical depuis dix ans, il a rarement entendu une voix aussi puissante et fragile, aussi profonde et sincère. Des frissons parcourent son corps et il est sûr d'une chose : ce garçon est fait pour chanter.

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