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Chapitre 3 - Maïlys

Maïlys

Vendredi 21 Juin 2019

École Des Arts de New York

— Au fait, Andrew nous a trouvé une super soirée pour fêter la fin des cours, tu viens avec nous hein ? me lance Sarah en travaillant son arabesque.

— Je sais pas trop, j'aimerais bien me reposer un peu, on a déjà été à la journée concert des dernières années hier, lui réponds-je.

Toutes les quatrième années passent leurs examens finaux le même jour dans l'École d'Arts de New York. Un concert géant est organisé et tous les élèves passent sur scène, pour danser évidemment, mais aussi chanter. Ils sont bien sûr notés par un jury et quelques jours après a lieu leur remise des diplômes. Sarah et moi terminons déjà notre troisième année dans cette prestigieuse École de danse que ma mère et moi avons eu un mal fou à me payer. L'année prochaine, ce sera à notre tour de passer sur cette scène intimidante à souhait, devant tous les autres élèves...

— Tu te reposeras demain, insiste Sarah.

— Miss Evans, Miss Baker, je vous dérange peut-être ? nous interrompt Miss Warren, la professeure de danse classique et directrice de cette école.

Nous n'osons pas répondre et continuons notre échauffement en silence. Il vaut mieux éviter d'entrer en conflit avec Miss Warren.

J'ai rencontré Sarah pendant notre première semaine de cours à l'École, il y a presque quatre ans. Je regardais partout à la recherche d'indications pour me diriger vers ma salle de classe dans cet immense établissement et je l'ai bousculée dans le couloir. Ça faisait une semaine que nous avions commencé l'année, mais elle, elle était déjà dans son élément, détendue et sûre d'elle, toujours entourée de deux ou trois autres élèves. Tout laissait présager qu'elle deviendrait très vite populaire ici. J'aurais pu parier qu'elle allait me regarder de travers et tracer sa route, mais au lieu de ça, elle m'a souri. Et quand Sarah vous sourit, c'est quelque chose. On s'est ensuite rendu compte qu'on allait vers la même salle et notre amitié était lancée.

Après le cours, Sarah finit de me persuader de venir à cette fichue soirée. Elle est très douée pour me convaincre. C'est une fêtarde, elle sort tous les weekends, le plus souvent accompagnée d'Andrew. Cependant, elle reste une très bonne élève, une très bonne danseuse. Andrew quant à lui est plutôt discret, mais très drôle et surtout très gentil. Il connaît Sarah depuis longtemps, ils étaient au collège ensemble. Je suis presque sûre qu'il a un faible pour elle. Comme la moitié des garçons qu'elle croise d'ailleurs, et parfois même des filles. Sarah a une aura incroyable, une beauté subjuguante, presque surréaliste, c'en est parfois énervant.

Sur les coups de vingt-trois heures, Andrew klaxonne en bas de notre appartement. Sarah et moi sommes colocataires depuis deux ans maintenant, ça nous permet de diviser le loyer en deux. Même si nous habitons dans le quartier le plus basique de Brooklyn, les loyers coûtent un rein.

Nous entrons dans la petite Chevrolet, la musique déjà à fond. Andrew secoue la tête en rythme en observant Sarah s'installer avec grâce sur le siège passager. Elle porte une robe bordeaux, longue et légère, qui pourrait presque ressembler à une robe de plage, mais qui sur elle, allez savoir pourquoi, fait classe. Quant à lui, il a juste enfilé un t-shirt et un pantalon en toile beige. De façon générale, il n'est pas vraiment le genre de garçon avec qui on imagine une fille comme Sarah. Il est discret, voire timide, avec un style assez classique et détendu. Sarah préfère les mecs un peu sûrs d'eux, elle aime être dans la séduction. Elle se lasse très vite en amour et une fois qu'elle obtient ce qu'elle désire, ça ne l'intéresse plus. Ses relations ne durent généralement pas longtemps. Le dernier en date a tenu quinze jours, je crois. Et surtout, elle tient beaucoup à sa liberté. Et à Andrew aussi. Mais c'est juste le bon pote et je vois bien qu'il commence à en avoir marre. Au moins, lui est toujours dans sa vie pendant que les autres ne font que passer.

Quelques minutes après avoir emprunté un chemin sinueux, nous arrivons devant une gigantesque maison presque entièrement faite de baies vitrées et entourée de voitures toutes plus clinquantes les unes que les autres. Devant la porte, un vigile nous demande nos noms.

— Andrew Mayers, Sarah Baker et Maïlys Evans, répond Andrew.

Pendant de longues secondes le vigile cherche sur sa liste et finit par nous laisser entrer. Grâce à l'école, nous rencontrons chaque année de grandes personnalités, des acteurs, des danseurs, des scénaristes, des réalisateurs. Ça nous permet de commencer à nous constituer un réseau. J'imagine que pour entrer ici aussi facilement, Andrew a dû solliciter une de ces personnalités. À l'intérieur, nous sommes dès l'entrée noyés dans la foule de gens qui dansent et se déchainent sur des airs de techno, ambiancés par un DJ en t-shirt blanc réfléchissant et lunettes de soleil sur le nez. Pour ne pas nous perdre, Andrew prend la main de Sarah qui prend la mienne. Il nous fraye un chemin jusqu'au bar où il nous commande des shots.

— Je crois que je vais passer mon tour, dis-je en criant pour me faire entendre malgré la musique.

— Oh non Maïlys, tu es venue, maintenant tu profites ! répond Sarah en me tendant le shot. Amuse-toi !

Je la regarde en soupirant. Après tout, les cours sont terminés, je peux bien me laisser un peu aller. Je lui souris, prends le shot et l'avale cul-sec. Andrew en recommande plusieurs pour nous trois, puis entraîne Sarah sur la piste de danse. Je les regarde un instant, me demandant si je suis la seule à percevoir l'attirance d'Andrew envers Sarah quand une fille en talons hauts me bouscule et renverse la moitié de son verre sur moi sans même s'excuser. Je n'ai pas le temps de réagir qu'elle s'est déjà fondue dans la masse. Je peste en prenant une des serviettes en papier posées sur le bar pour éponger ma robe et bois cul-sec le cinquième et dernier shot qu'il me reste. Après un bref coup d'œil aux alentours, je décide d'aller explorer plus en profondeur cet endroit magnifique. Cette maison est si grande ! Au moment où je me lève, un mouvement de foule se fait sentir, plusieurs filles se dirigent vers la porte d'entrée en brandissant leurs téléphones portables, prêtes à dégainer leur plus beau selfie. J'imagine que quelqu'un de connu vient d'arriver. Andrew nous a prévenu qu'il y aurait du beau monde et vu le standing de la maison, ça ne m'étonne pas. Je me faufile sur la terrasse, bondée elle aussi. N'ayant pas l'habitude de boire autant en si peu de temps, je commence à avoir le tournis. En quête d'un endroit plus calme, je m'éloigne des lumières et ose m'aventurer plus loin dans le jardin sombre. À quelques mètres, je tombe sur une fontaine. Qui a une fontaine dans son jardin, sérieux ? Je m'installe sur le banc juste en face et enfin, dans le calme et l'obscurité, je me sens bien.