chapitre 7

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Rick

La vie est parfois étrange.
Toute notre vie est faite de choix, qu'on détermine de bon ou mauvais gré. Ceux qu'on pensait bons pouvant se montrer mauvais au final et inversement.

Et puis parfois il y a des changements dans notre vie qui ne sont pas de vrais choix, mais qui nous font voir la vie d'un autre oeil.

Accueillir Alex, n'était pas un réel choix. J'ai choisi de dire oui à mon ami, car dans mon esprit, je lui suis redevable de ma vie.
Mais je n'ai pas choisi la personne que je devais accueillir.

Et pourtant la présence d'Alex chez moi me semble si naturelle que ça en est perturbant.

J'ai été marié pendant 8 ans.
Ok 8 ans où j'étais souvent absent.
Mais pendant 8 ans j'ai été marié à une inconnue, un mirage, où chaque interaction était basée sur le fait de me faire pardonner de mes choix professionnels, de mon absence.
J'avais toujours le sentiment de devoir compenser, et je pensais chacune de mes paroles, chacun de mes actes.

Là ça fait à peine plus de 24h que j'ai rencontré Alex, et j'ai l'impression d'avoir partagé plus avec lui, de mes pensées, de mes sentiments et mes espoirs, qu'avec ma propre femme.

Je me suis surpris à rire avec lui de ses allusions sexuelles, à apprécier son enthousiasme pour toutes ces activités qu'il découvrait sans rechigner.
Je me suis même mis à presque regretter de ne pas partager ses orientations, car il ferait un compagnon idéal.

Mais je connais mon orientation et mes goûts. J'ai partagé assez de dortoirs et de douches avec mes compagnons d'armes pour savoir que le corps des hommes ne m'a jamais attiré.
J'ai entendu mes frères se masturber et gémir sur leurs paillasses sans que ça ne provoque d'envie particulière.

Mais la présence d'Alex touche en moi une corde particulière.
Je l'ai observé travailler, il est bien plus fin et moins musclé que moi.
Un corps limite féminin où ne manque qu'un peu de poitrine.
Je l'ai regardé se pencher et ramasser les bûches, et c'était agréable à voir, j'avoue.

Bon c'est certainement signe que j'ai mis un terme à ma vie sexuelle depuis trop longtemps si je me mets à mater le cul d'un mec...
Mais je n'arrive pas à trouver une raison de me dire que le regarder n'était pas une bonne idée.

J'ai bien vu qu'il s'était rincé l'oeil sur mon buste lorsque j'ai retiré ma chemise. Ça m'a même fait plaisir de constater que je pouvais plaire.

Faut avouer que le fait de limite me faire traiter de vieux par l'armée, et de me faire jeter par ma femme ont mis un sacré coup à mon amour propre.
Alors si observer de l'envie dans le regard d'un homme peut légèrement rebooster mon ego, et bien je prends.

Je me suis même surpris à réfléchir sérieusement à sa question sur la différence entre homme et femme sur les fellations, et encore plus de trouver une certaine cohérence à son évaluation.

- Alex ?
- Oui ?
- Comment tu as su que tu étais gay ?
- C'était l'été avant mes quatorze ans. Je devais pas être très précoce parce que je m'étais pas encore posé la question des filles, ou des garçons.
Mes parents ont décidé de m'envoyer quelques jours en vacances chez mon oncle et ma tante.
C'est une famille modeste mais complètement dingue de leur fille Betanny. Elle leur aurait demandé de décrocher la lune, qu'ils se seraient engagés à la NASA.
Elle voulait devenir danseuse.
On a avait le même âge, donc on traînait la journée ensemble, même si je trouvais que c'était une peste. À la fois, je connaissais personne d'autre là bas.
Un jour elle s'est posée devant moi et elle m'a dit qu'elle voulait que je l'embrasse.
J'ai pas compris, parce que c'était ma cousine, et en plus, j'avais jamais embrassé personne.
Donc j'ai pas bougé, choqué.
Elle a pris les devants et a posé sa bouche sur la mienne en se collant à moi.
J'avais pas eu le temps de réagir qu'elle posait sa main sur ma braguette.
Je l'ai repoussée en lui disant qu'elle était folle.
Elle s'est alors mise à me gueuler dessus que personne ne refusait jamais d'être avec elle, que je devais être une tapette.
Je me suis barré de là.
Je me suis réfugié au parc pour réfléchir.
Je me suis surtout dit que j'avais réagi comme ça parce que c'était ma cousine, et qu'elle ne m'avait pas demandé mon avis pour m'embrasser et me tripoter.
Je regardais au loin un groupe de jeunes jouer au basket et j'étais convaincu qu'elle avait tort, ces mecs ne m'attiraient absolument pas.
Et puis à un moment j'ai entendu un grand bruit dans la rue derrière moi.
Je me suis retourné et j'ai vu défiler un groupe d'une dizaine de motos.
Et mon regard s'est accroché sur l'un d'entre eux qui roulait torse nu sous son cuir. J'étais fasciné.
Et... j'ai eu ma première érection non matinale.
- Fan de cuir et de motos ?
- Je dirais plutôt fan de virilité.
À chaque fois que je tombais sur ces types, je bavais, c'était super gênant.
Plus tard, à Boston, j'ai eu l'occasion de tomber sur des bikers, mais ils étaient plutôt du genre gros barbus un peu sale. Le cuir et la moto n'ont jamais réussi à me faire rêver avec eux.
- Je me demandais, lorsque tu étais dans la rue, tes parents n'ont jamais cherché à te retrouver ? Tu avais à peine quatorze ans, tu étais sous leur responsabilité.
- J'ai vu des affiches de signalement de personnes disparues, mais elles ne faisaient pas mention d'une récompense. Donc je suppose que ça a pas motivé les SDF et prostituées que je cotoyais à lâcher l'info aux flics.
Je trainais dans les rues sordides et je faisais en sorte de les éviter.
Les marginaux m'ont pris en pitié vu mon jeune âge quand je leur ai raconté le motif de ma fugue.
Je voulais pas prendre le risque qu'on me renvoie dans ma famille vu ce que j'y subissais.
Tant pis si je devais vendre mon corps pour bouffer. Au moins c'était ma décision.
- Ta famille est vraiment composée de malades à mon avis.
- Ouais c'est le mien aussi.
- Il m'aura fallu des années pour me rendre compte que les choix de vie des miens n'étaient pas mauvais.
Je regrette qu'ils soient morts sans savoir que j'avais enfin ouvert les yeux.
Je ne les ai jamais revus après mon départ d'ici.
Je leur donnais des nouvelles régulièrement, mais je refusais de faire l'effort de venir, et surtout de perdre du temps sur le peu que j'accordais à Emmy quelques mois par an.
J'espère qu'ils me pardonnent.
- Tes parents étaient de bonnes personnes vu ce que tu m'as dit sur leur dévouement. Vous n'aviez simplement pas les mêmes ambitions.
Je doute qu'ils t'en aient jamais voulu.
Ils t'ont dit des choses qui pourraient te faire penser le contraire ?
- Non, mais dans leurs lettres ils me disaient que je leur manquais, qu'ils aimeraient que je vienne.
Je ne leur ai jamais fait ce plaisir, je repoussais toujours l'échéance.
Ils sont morts avant que je ne me décide à faire passer leur plaisir avant le mien.
C'était égoïste.
- Tu ne changeras pas ce qui c'est passé.
Tu es croyant ?
- Non. Mes parents n'ont jamais été portés sur la religion. S'ils avaient du avoir un dieu, ça aurait plutôt été mère nature. Et toi ?
- Mes parents l'étaient donc j'ai suivi les enseignements de la bible durant les séances de catéchisme. Mais ça n'a jamais été mon truc.
L'idée des religions a toujours été incohérente pour moi.
Tous ces livres saints qui se disaient la parole de dieu, écrits par des hommes qui ne l'avaient jamais rencontré, ça ne me convenait pas.
Et les illogismes concernant la création de l'homme ça me faisait froid dans le dos.
- Comment ça ?
- La bible dit qu'Adam et Eve sont les deux premiers humains qui sont nos ancêtres à tous.
Ils ont eu deux enfants, deux hommes.
Quand on y réfléchit, qui sont les parents de la génération suivante ? Et des suivantes encore ?
Ça parle clairement d'inceste pour moi, et je trouve ça dégueu.
- C'est une analyse à laquelle je n'avais jamais pensé et effectivement c'est pas une perspective réjouissante.
- Voilà. Donc même sans parler du darwinisme, je trouve la base des religions absurde, et j'ai du mal à comprendre que les hommes s'entretuent en leurs noms.
- Et pourtant j'y ai participé en tuant des musulmans dans leur propre pays.
- Tu abattais des extrémistes. Est-ce que si ils avaient été d'une autre religion tu aurais fait les choses différemment ?
- Moi non, mais est-ce que les décisions d'intervenir des politiques auraient été différentes, je n'en sais rien.
- Et tu ne le saura jamais, donc inutile de se poser la question.
Tu n'as pas tué pour le plaisir des cibles innocentes je suppose ?
- Jamais !
- Alors laisse reposer ta conscience en paix.
- Tu es vraiment extraordinaire Alex. J'aime ta façon de voir les choses.
- C'est juste que je n'aime avoir ni regrets, ni remords. Je prends ce que la vie veut bien me donner et ça me convient.
- Hmm je trouve ça parfait, il faudrait peut être que je m'y mette aussi...
Bon sur ce je vais me coucher...
Bonne nuit Alex !
- Bonne nuit prince charmant !

Je me lève pour aller me coucher.
Alex reste là à observer le ciel, un sourire doux aux lèvres.

Pris d'une impulsion, je me penche sur lui et dépose un baiser léger sur sa joue.

- Le voilà ton bisou de bonne nuit.

Et je m'éloigne tranquillement dans ma chambre.
Je ne sais pas ce qui m'a donné envie de faire ça, une impulsion...
Mais Alex a raison, regrets et remords sont inutiles.
J'apprécie Alex, et je voulais qu'il le sache.

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