Un autre monde

chapitre 10

Alex

Rick ne sait plus où il en est.
Je pense qu'il ne s'attendait pas à réagir ainsi à ce qui devait être un simple baiser.

En tous cas pour moi. Ce baiser n'avait rien de simple. Il était doux et fort à la fois. Des sensations intenses m'ont traversé comme jamais auparavant. Ce baiser était merveilleux. Rien à voir avec le baiser dégoûtant de ma cousine, ou les léchages d'amidales dégradants de mes clients.

Oui, c'est ce baiser qui restera pour moi mon premier vrai baiser.

J'espère juste que ça ne fera pas se retrancher Rick derrière un mur.
Même si je pense que ce n'est pas son genre d'avoir ce genre d'attitude.

Je m'attelle à la préparation du repas.
Avant d'arriver ici, je n'avais jamais vraiment eu l'occasion de cuisiner. Réchauffer un truc tout prêt au micro ondes, c'est pas de la cuisine.
Mais après avoir observé Rick le faire, plus avoir fait des préparations pour les bocaux aujourd'hui, je pense que le repas ne va pas me poser de soucis.
J'ai mis des haricots verts à cuire dans de l'eau salée, que je passerai dans une poêle avec du beurre plus tard. J'ai mis le pain au four selon les indications que m'avait donné Rick ce matin.
Des côtes de porc attendent tranquillement d'être cuites, je les préparerai en même temps que les haricots.

J'espère ne pas me louper, j'ai envie de faire plaisir à Rick.

Quoiqu'il decide de faire ou ne pas faire ensuite, notre cohabitation doit continuer à se passer bien. Je ne suis pas là en vacances à profiter du bon temps. Je suis là pour ma protection en attendant de pouvoir témoigner.
Et si je peux, je pense que je ne retournerai pas à Boston. Je pense que je reconstruirai ma vie dans le coin.
Je n'ai rien à Boston qui me donne un tant soit peu envie d'y revivre.
J'ai au moins trois mois devant moi pour pouvoir monter un projet viable.

Lorsque Rick rentre, il est tout mouillé. Je ne sais pas s'il a un parapluie, mais si c'est le cas, il n'a pas pensé à le prendre.

- Tu devrais aller prendre une douche chaude avant d'attraper la mort, tu es trempé.
- Ouais, c'est pas que ça tombe fort dehors, mais ça s'incruste bien, je suis gelé.
- Tu veux que je te prépare une tisane au miel pour après ?
- Oh oui ! Merci. J'y vais, j'en ai pour même pas cinq minutes.

Je mets rapidement les herbes pour la tisane à infuser dans la bouilloire qui est maintenue au chaud sur la chaudière toute la journée à cet effet.

Rick est effectivement rapidement de retour, réchauffé et changé.
Je lui verse la tisane dans un mug et lui donne le miel.

- Merci. Tu nous as préparé quoi alors ?
- Haricots au beurre et côtes de porc. Le pain est bientôt cuit. Plus que dix minutes de cuisson normalement.
- Génial. Je commence à avoir faim.
- Tu n'aurais pas de livres de recettes de cuisine ou de pâtisserie par hasard ? J'aimerai bien m'essayer à faire des recettes avec tout ce que tu as en stock, sans avoir besoin de t'embêter pour tout.
- Alors premièrement rien de ce que tu fais ou demande ne m'embête.
Ensuite, non je n'ai pas de livres de recettes, mais Maddy, notre plus proche voisine est une super cuisinière, et je suis quasi sûre qu'elle a ça en stock. Tu veux que j'appelle Harry pour lui demander si sa femme peut nous prêter ça ?
- Oh ce serait super, mais... Peut-être qu'on pourrait en profiter pour les inviter à partager un repas ? Ça fera de la compagnie, pour eux, comme pour nous.
- Très bonne idée. Je le contacte de suite.

- Harry, ici Rick, est-ce que tu es là ?
- ...
- Harry, ici Rick, est-ce que tu es là ?
- Ouais salut Rick. Qu'est-ce qui t'arrive ?
- J'ai un pote qui est venu passer quelques mois à la maison, et il me demandait si j'aurais pas un livre de cuisine, mais j'ai pas ça en rayon.
Maddy en aurait pas, par hasard ? Cuisine ou pâtisserie, ou les deux ?
- Oh si elle en a plein ! Tu veux que je te les mette de côté pour ton prochain passage ?
- Oui, mais je me disais que peut-être vous voudriez venir partager un repas avec nous.
- Il te reste des pièces de chevreuil ? Si oui j'accepte l'invitation. Ça fait un moment que j'ai pas réussi à choper un.
- Oui bien sûr que j'ai ça. Ça vous dit demain 19h?
- Ça marche pour nous. T'embête pas avec le dessert, Maddy fera un truc. A demain !
- À demain !

- C'est si simple que ça les invitations ici ?
- Oui pourquoi ?
- Je me souviens quand j'étais enfant et que mes parents invitaient du monde, c'était un vrai sketch. Il fallait s'y prendre au moins une semaine à l'avance, et ma mère pétait un plomb les jours précédents si elle avait le malheur de tomber sur un truc qui trainait.
Et alors si mon père avait osé dire qu'elle préparerait un truc sans la consulter avant, ça aurait été Hiroshima garanti.
- Tu sais, ici les distractions sont pas nombreuses, et t'as peu de chance qu'ils gens aient quelque chose de prévu.
Dans le coin on se prend pas la tête.
Et Maddy fait des gâteaux délicieux. Tout le monde dans le coin les connait et en redemande. C'est devenu une habitude pour elle d'aller chez les gens avec le dessert.
- J'adore... Bon allez, à table, c'est prêt.

C'est vraiment un autre monde ici, tellement mieux que tout ce que j'ai pu connaître.

- Alors verdict ?
- Impeccable ! La viande est parfaitement cuite et les haricots sont al dente, c'est top. Félicitations pour une première fois tout seul, c'est une réussite.
- Merci. Pff presque 20 ans, et j'ai l'impression de découvrir la vie depuis que je suis ici. Tout est nouveau pour moi, et c'est un crève coeur de me dire que j'ai perdu vingt ans pour rien.
- Hey rien n'est jamais pour rien. Regarde où ça t'a mené. Ici tu es bien et en sécurité. C'est déjà pas mal.
Mais je comprends ce sentiment, parce que je me suis dit exactement la même chose sur avoir passé toute ma vie en colère, après mes parents, l'armée, ma femme... Alors qu'au final, c'est moi qui gênerait ma propre colère.
Je détestais une vie qu'aujourd'hui je ne quitterai pour rien au monde.
Je détestais l'armée pour m'avoir fait sentir vieux après ma blessure, mais contrairement à la moitié de mon équipe je suis rentré vivant et entier, avec juste quelques douleurs par mauvais temps.
Je détestais ma femme de m'avoir quitté quand j'étais au plus bas, mais je me rends compte que pendant toute sa durée, ce mariage n'a était basé que sur le principe de l'absence et de la chasse.
Lorsque j'étais là, je cherchais à la conquérir pour compenser. Jamais je n'ai été moi même, tout était pour elle dans cette relation. J'aurais dû ouvrir les yeux avant.
Il m'a suffit de quelques jours de vie avec toi pour me rendre compte que mon attitude avec elle était de la servilité, et pas de l'échange comme ça aurait dû être.
Au final, ton arrivée m'aura permis de remettre tout mon monde dans l'axe où il aurait toujours dû être.
- Non. Il était déjà dans cet axe. Juste, tu ne le voyais pas.
- Peut être. En tous cas, merci de m'avoir permis d'ouvrir les yeux.
- Faut qu'on arrête avec les mercis, on en dit trop chacun. Ça va devenir gênant.
- Hmm... C'est pas faux...
Bon la vaisselle je m'en charge. Par contre, ça te dérange si ce soir on se cale sans jouer, j'ai envie de bouquiner.
- Ça me va très bien ! J'ai un thriller à finir, et je me retiens d'aller lire les dernières pages pour savoir la fin.
- Blasphème ! Sacrilège ! Tu fais partie de ces fous qui ne peuvent pas attendre ??? Oh quelle déception... Moi qui te trouvais parfait...
- D'abord je te signale avoir dit que je me retenais. Ensuite j'ai jamais prétendu être parfait.
- Bin moi je le pense... Ou le pensais avant de connaître cette envie malencontreuse qui sali ton âme...
Déception...
- Pff parce que monsieur perfection n'a aucune envie bizarre peut être...
- Plein, mais toutes parfaitement justifiées... Mais lire la fin d'un livre... Ça gâche tout le plaisir.
- Je trouve pas. Au contraire, savoir qu'on ne s'attache pas à la mauvaise personne, parfois ça fait du bien...
J'aime savoir que les personnages que j'apprécie seront en sécurité et heureux à la fin.
Je ne lis jamais la fin avant de m'être fait une opinion sur chacune des personnes.
Je veux quand même garder une part de mistere.
- Hmm drôle de point de vue, mais ça peut se défendre... Mais tu ne m'empêchera pas de penser que c'est tordu comme façon de lire. Tu viens de briser l'image d'ange parfait que j'avais de toi.

Non mais je rêve où ça fait deux fois qu'il me dit qu'il me trouve, ou trouvait, parfait ?
Moi la petite pute sans éducation ?

Alors que moi , c'est lui que je trouve merveilleux, sublime, un chevalier en armure courageux, un prince charmant généreux...

Je ne comprendrai jamais la femme qui n'a pas su voir tout ça en lui, mais je la remercie de l'avoir quitté, elle a rendu au monde une belle âme qui ne méritait pas de vivre en cage.

Il faut que j'arrête de me leurrer, c'est pas dans trois mois que je risque de tomber amoureux, c'est déjà fait...
Et je vais certainement beaucoup souffrir lorsqu'il sera temps de partir...