QUELQUES MOIS APRÈS LE DRAME.
Ma mère vint me chercher ce soir-là car la directrice avait demandé à la voir. Elles avaient entamé une longue discussion. Bien sûr, je n'y étais pas convié. J'étais assis sur une chaise qu'on avait placée dans le couloir vert où se trouvaient porte-manteaux et autres décorations faites par les élèves.
Certes je me trouvais à l'extérieur de la salle de classe mais je pouvais tout de même entendre ce dont elles parlaient. Les voix me parvenaient distinctement.
— Je tenais dans un premier temps à vous dire toutes mes condoléances.
Une pause se fit avant que la voix de la directrice ne reprenne.
— Depuis que Matthieu a perdu sa petite sœur, ce n'est plus le même. Sa maîtresse me rapporte qu'il ne répond plus quand on l'interroge. Il devient très distant, il ne parle presque plus avec ses amis, il mange peut aussi d'après la cantinière. Nous nous inquiétons beaucoup de son état psychologique.
— Je comprends, répondit ma mère d'un ton las.
Je décelai une touche de tristesse dans sa voix. Ma concentration fut momentanément perturbée par la femme de ménage qui traversait le hall d'entrée. Elle déplaçait ses outils de travail sans le moindre ménagement. En passant devant moi, elle me dévisagea de la tête au pied. On aurait dit qu'elle venait de faire un scan. Elle continua son chemin et je pus de nouveau entendre la voix de la directrice après quelques secondes.
— ...une aide pédiatrique ou psychologique. Il faut envisager ça pour qu'il redevienne partiellement ou totalement le petit garçon d'avant.
— Oui je comprends.
À part dire ces quelques mots, ma mère n'ouvrit pas la bouche. Je ne pensais pas que la directrice soit consciente que ma mère ne l'écoutait que d'une oreille. Elle n'était plus la même depuis la mort de Kaylee. La disparition d'un membre de sa famille – très jeune qui plus est – change toutes les personnes qui l'ont connu. Ma mère et moi en étions la preuve.
En sortant de la réunion, il me parut que ma mère m'adressa un semblant de sourire. Je n'avais pas entendu les personnes se déplacer. Nous prîmes le couloir et pendant que j'enchainais mes pas, je me retournai et je vis le visage inquiet de la directrice. Ma mère me prit par la main jugeant que je n'allais pas assez vite dans mon déplacement.
* * *
Une mauvaise odeur empreignait la maison comme tous les jours où ma mère finissait son travail à la même heure que l'école. Un grognement sourd avait été émis depuis la salle à manger. J'allais m'y rendre lorsque ma mère me barra le passage de son bras.
— Monte dans ta chambre et va faire tes devoirs.
Elle ne me l'avait pas dit méchamment mais je savais que je ne devais pas contester quand elle me demandait de faire quelque chose. Si je devais dresser la table, je plaçais les couverts, les assiettes, les verres et autres ustensiles sur la nape. Si je devais ranger ma chambre, je la nettoyai du mieux possible. Il m'arrivait assez souvent d'aider ma mère à faire le ménage dans la maison. J'évitais toujours une seule pièce : leur chambre. Je n'avais plus jamais mis les pieds dans cette pièce depuis le drame.
Je faisais désormais ce que ma mère me disait sans réfléchir. C'était devenu naturel, pareil à un robot que l'on aurait programmé. Ma vie était devenue un peu comme ça, dépourvu de sentiments heureux, muré dans la puissante mélancolie dont on ne voyait pas la fin.
Je fis comme je le sentais : je montais jusqu'à atteindre haut de l'escalier. Ma mère rejoignit mon père dans la salle et je descendis quelques marches prêt à intervenir au cas où elle aurait besoin de mon aide. Quand je commençais à entendre le bruit des bouteilles d'alcool s'entrechoquer, je couru à pas de loup pour me cacher en dessous de l'escalier, à l'abri des regards. Je n'avais qu'à allonger ma tête pour voir le spectacle que je contemplais régulièrement.
Mon père était allongé sur le canapé, ses mèches de cheveux datant de plusieurs semaines dépassant de l'accoudoir, sa main droite pendant dans le vide. Se trouvait en-dessous une bouteille de whisky dont il ne restait qu'un quart de la boisson et plusieurs cadavres de bières. Ma mère était justement en train d'en ramasser quelques-unes.
Ma mère se rendit dans la cuisine et revint le voir avec un sac plastique. Elle s'approcha de la table basse et prit le cendrier dans lequel se trouvaient les nombreuses cendres des cigarettes fumées. Ça empestait la clope dans toute la maison. D'un geste souple, elle fit basculer le tout dans le sac opaque. Elle fit quelques pas comme pour se rapprocher de moi. Alors tel un ninja furtif, je me cachai sous l'escalier.
N'entendant plus les pas de ma mère, je pris le risque de sortir ma tête pour voir ce qu'elle faisait. D'une main, elle tenait le sac remplit de cendres et mégots de cigarettes, de l'autre, elle essayait de retirer le coussin imbibé de vomi, mélange de vodka et de bière.
Quand l'homme allongé était éveillé, je ne retrouvais pas le père d'avant, celui attentionné, joueur, délicat... À la place se trouvait un ivrogne brutal, irrespectueux, violent et impoli. Il était là, tout le temps affalé dans le canapé en face d'une télévision qui était éteinte depuis plusieurs heures. Au début, il disait que la télévision ne reflétait que les faits de la vision des journalistes. Sur ce point, il n'avait pas tout à fait tort. Mais à mesure qu'il voyait le monde déformé sur l'écran, il devenait de plus en plus irascible.
Ce ne fut alors plus lui qui regardait la télé à longueur de journée mais elle qui le regardait. Je pouvais facilement dire que le spectacle qu'offrait mon père était tout aussi pitoyable que celui des images qui défilaient dans les journaux télévisés. J'avais l'étrange impression que la télé diffusait la scène qui se déroulait dans cette pièce. En effet, mon père résumait à lui seul bien des mots : alcoolisme, dépression, chômage, faillite, dépendance... Un vrai dictionnaire péjoratif que je n'aurais jamais voulu connaître, surtout à mon âge.
Une fois que ma mère fut partie, je me rapprochai de l'endroit salit par mon père. Il ne restait presque plus rien hormis une flaque de bière. Je me déplaçais en essayant de faire le moins de bruit possible. Une chance que j'eusse pensée à enlever mes chaussures en rentrant. Il ne fallait surtout pas que je réveille la tornade endormie sur le canapé.
Soudain, je sentis un petit objet sous mon pied. En le soulevant, je découvris une cigarette à demi-fumée. Je la pris dans ma main et l'observai. Il y avait un petit trait de fait sur le blanc de la feuille entourant le tabac. Je me rappelais alors de la superstition que mon père avait : il était persuadé que de fumer une cigarette entièrement donnerai définitivement fin à son âme. C'était, je crois, l'unique chose qu'il appréhendait. Il voulait sauver le si peu d'âme qu'il lui restait. D'après Ducan MacDugall, notre âme pesait vingt-et-un grammes. Je l'avais lu dans un livre. Malgré les croyances de mon père, son âme ne devait plus peser bien lourd.
Je m'emparai du paquet de blondes qui était restée sur la table basse. Je sortis une autre cigarette pour remarquer la même petite marque faite au crayon à papier. Juste au moment où j'allais la reposer, une puissante main m'agrippa le bras.
* * *
Eh eh eh...
Situation complexe pour Matthieu, vous en saurez plus dans le prochain chapitre.
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𝐃𝐞𝐬𝐭𝐢𝐧𝐲 𝐌𝐚𝐭𝐭𝐡𝐢𝐞𝐮
Mystery / ThrillerTout semblait être parfait depuis la naissance de sa petite sœur mais Matthieu, alors âgé de 8 ans, n'avait pas prévu qu'on l'accuserai de l'avoir assassinée. Depuis qu'elle est décédée, l'enfance de Matthieu a été totalement détruite. Entre violenc...