5. Hugo: Le nouvel ambassadeur

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     Hugo avait assisté à l'investiture officielle du nouvel ambassadeur, Alain Blanchard, et il se sentait désappointé. C'était encore un ambassadeur de salon, parfait pour la réception du 14 juillet et faire des courbettes à la famille régnante, mais qui n'y connaissait rien en géopolitique. Ou en tout cas pas grand-chose. Hugo avait commencé à l'entreprendre sur les liens entre les cartels locaux et l'Afghanistan, grand producteur de pavots, et l'autre l'avait interrompu d'un air agacé. Aucune aide à attendre de lui.

     Hugo se sentait très seul.

     Blanchard recevait aujourd'hui les employés de l'ambassade, l'un après l'autre. Il voulait connaître toutes les « forces vives » de la maison, avait-il dit, les coopérants y compris. Les dossiers urgents attendraient encore, de toute évidence. Hugo avait été reçu, félicité pour son travail, interrompu une nouvelle fois quand il avait tenté de parler de terrorisme international, et mis courtoisement à la porte.

     Hugo pestait encore quand Buisson frappa et entra, avec le journal local.

     — Bonjour, monsieur Fohl. Vous avez vu, il y a une interview du roi ce matin ?

     — Il est toujours content de lui, celui-là ?

     Buisson sourit sans répondre et dit incidemment :

     — Oh, je viens de croiser la coopérante, elle avait les larmes aux yeux. J'espère que ce n'est rien.

     — Quoi ?

     Hugo se leva et marcha vers le bureau des coopérants, plantant là son assistant qui afficha une expression de surprise. Arrivé devant la porte, il vit qu'elle était ouverte et il s'avança dans l'ouverture.

     Héléna Michel était assise à son bureau, en plein récit de son entrevue avec l'ambassadeur. Les coopérants étaient autour d'elle, et tous riaient de bon cœur. Héléna poursuivait :

     — ... Alors il me dit : « ça a l'air intéressant, cette cérémonie de la Toussaint, mais c'est à quelle période de l'année ? »

     Les garçons s'esclaffèrent.

     — Il a dû voir sur mon visage qu'il avait dit une ânerie, poursuivit Héléna Michel qui tentait de maîtriser son élocution. Il a essayé de se rattraper, et il a dit : « mais... il n'y en a pas plusieurs fois par an, des cérémonies de la Toussaint ? »

     Héléna Michel, ayant fini sa phrase, se laissa aller à son hilarité, suivi par les garçons. Elle s'essuya les yeux qui pleuraient à force de rire. Hugo eut un soupir de soulagement.

     La jeune fille releva la tête et le vit. Il lui adressa un demi-sourire, et il lut l'étonnement sur son visage. Il ne souriait pas assez, visiblement.

     Ce fut à cet instant que l'ambassadeur en personne pénétra dans le bureau.

     — Fohl, je vous cherchais.

     Blanchard n'avait pas l'air content. Hugo se crispa.

     — La chancellerie du palais m'informe que le dossier de mon accréditation n'est toujours pas arrivé !

     — Je ne comprends pas, monsieur, balbutia Hugo. Il a été mis au courrier il y a une semaine.

     — Quel courrier ? Celui des cartes postales ? dit Blanchard, sarcastique.

     — Non, la voie diplomatique.

     Hugo laissa son regard errer sur Thibaut Déon, à qui il avait confié l'enveloppe. Celui-ci avait un visage fermé et évitait son regard.

     — Vous avez intérêt à ce que le dossier arrive vite ! menaça Blanchard.

     Il tourna les talons et disparut. Hugo commença :

     — Monsieur Déon...

     Héléna Michel se leva d'un bond.

     — Je m'en occupe, monsieur. Pouvez-vous me laisser une heure pour retrouver ce dossier ?

     Hugo, la gorge serrée, hocha la tête. Il n'avait pas l'habitude d'être réprimandé pour son travail, qui plus est en public. Il était toujours irréprochable.

     Il quitta le bureau sans regarder derrière lui.

     Une heure s'écoula, durant laquelle il se demanda ce qu'il ferait si le dossier était perdu. Il faudrait récupérer toutes les pièces, contacter le bureau de Paris, redemander la signature du Président... Quel cauchemar. Surtout quand il souhaitait se concentrer sur un sujet plus important. Buisson arriva avec d'autres dossiers et le regarda s'énerver sur son ordinateur.

     — Quelque chose ne va pas ?

     — Le dossier d'accréditation de Blanchard est dans la nature. Il est furieux.

     Hugo ne se confiait pas souvent, mais la phrase avait franchi ses lèvres. Buisson le regarda avec sympathie.

     — On va le retrouver. Il doit dormir au courrier postal.

     — J'espère, sinon je suis mal...

     A cet instant, on frappa à la porte, et Héléna Michel fit son entrée.

     — Le dossier a été remis à la Chancellerie il y a trente minutes, monsieur. J'ai une preuve de dépôt.

     Elle lui tendit un justificatif tamponné aux armoiries du palais. Hugo soupira de soulagement.

     — Oh Dieu du ciel...

     Puis il releva sur elle un regard suspicieux.

     — Où était passé ce dossier ? Déon l'avait égaré ?

     Elle rougit violemment, ce qui le surprit.

     — Non, monsieur, c'est moi la coupable. Je... Je ne l'avais pas mis au bon endroit pour la voie diplomatique.

     — Et comment est-ce possible qu'il soit à la chancellerie alors ?

     — Je suis allée le porter moi-même.

     Hugo leva les sourcils. Elle poursuivit :

     — J'ai compris que c'était urgent et je souhaitais réparer ma bêtise. Je vous prie de m'excuser et de ne pas en tenir rigueur à Thibaut.

     Hugo fut soudain déchiré entre deux sentiments contradictoires. Il était heureux qu'elle se soit déplacée pour lui, pour régler son problème ; et agacé, terriblement agacé, qu'elle s'érige en défenseur de Thibaut Déon.

     Il hocha lentement la tête.

     — Je vous remercie, mademoiselle Michel. Ce sera tout.

     Elle fit un signe de tête et partit.

     Buisson le regarda avec un demi-sourire.

     — Vous voyez, vous avez bien fait de la prendre avec vous.

     — Pas faux, répondit Hugo, laconique.

     Buisson sourit plus largement.

Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant