Ses dents acérées s'enfoncent dans mon cou. Je me rappelle la seconde précédente où son visage difforme s'était approché du mien au point de devenir presque flou. Je me rappelle la minute précédente où je l'ai vu passer le pas de la porte de ma chambre plongée dans l'obscurité. Où sa silhouette maigre, gigantesque s'est avancée lentement vers mon lit. Je me rappelle le moment où j'ai ouvert les paupières pour sombrer dans la terreur. Sa tête terrifiante, ses yeux injectés de sang, son sourire vampiresque et ses canines de monstres.
Mon pouls s'accélère, il insère ses mâchoires dans les miennes. Je veux crier mais je ne peux pas. Je veux ouvrir les yeux mais je ne peux pas. Je le laisse faire. Si je laisse tourner ce film d'horreur sans l'arrêter, il s'évaporera. C'est comme ça que se terminent les cauchemars, il faut se laisser souffrir, il faut se laisser mourir. C'est comme ça que j'ai réussi à les vaincre enfant. C'est de cette façon que je suis passée à l'age adulte. En affrontant mes peurs.
Mais aujourd'hui je ne suis plus une enfant. Mais pourtant les cauchemars reviennent. Peut-être parce ce n'est pas un cauchemar, c'est une hallucination.
Une hallucination éveillée.
Je rouvre les paupières malgré tout. Je ne peux pas aller plus loin, je le sens qui me déchire la peau, qui se délecte de ma chair.
Et je cris.
Thomas bouge dans le lit, il est lassé de mes cris. Ça doit être la huitième fois au moins que je hurle en une heure. Dans le lit. Dans l'obscurité. Il se force à me serrer un peu plus fort dans ses bras, mais je l'entends soupirer. Il fait semblant mais il ne me comprend pas.
Il ne comprend pas qu'à mon trente-et-un ans on fasse encore des crises de panique parce qu'on a éteint la lumière.
Il ne comprend pas que je ne redescende pas depuis une semaine.
Il ne comprend pas que j'ai pris autant de drogues pendant le week-end.
Il ne comprend pas que j'agisse toujours comme une ado, il ne comprend pas que je foute ma santé en l'air, que je n'arrive pas à m'arrêter et que je gère tout ça comme si cela n'avait pas d'importance.
Il est fatigué de m'engueuler, il est fatigué de me paterner, lui qui a six ans de moins que moi.
Il ne comprend pas que j'ai absolument voulu aller à ce festival alors qu'il a tout fait pour m'en empêcher. Parce que ce festival je voulais absolument le faire. Parce que je ne veux surtout pas vieillir. Parce que j'ai peur de mourir. Parce que j'ai peur de rater quelque chose, parce que j'ai peur de rater ma vie, parce que j'ai peur d'être chiante, d'être comme tout le monde. Que je veuille que ma vie ne soit faite que d'aventures, quitte à mourir de ça. Parce que j'ai peur de mourir sans que que l'on se souvienne de moi. Parce que je veux qu'on dise de moi que j'ai profité de la vie à fond, que j'étais folle, que j'avais quelque chose de spécial.
Mais après il doit me récupérer à la petite cuillère.