Dans l'ombre du Soleil

Chapitre 9 - Cartes sur table

Cette nuit-là, Morphée ne souhaita pas recueillir Victoire dans ses bras et la jeune fille fut contrainte de rester les yeux grands ouverts à essayer de distinguer les cinquante nuances de noir. Les derniers évènements organisaient dans son esprit un carnaval, la maintenant éveillée. Le mystérieux empoisonnement, les étranges paroles de Mme de Montespan, l'improbable vol du bijou royal... et enfin cet arrogant chevalier de Crozent qui avait la fâcheuse habitude d'apparaître soudainement dans son environnement.

Victoire se retourna dans son lit pour chasser ces mauvaises pensées, en vain. L'obscurité de la chambre ne l'empêchait pas d'entendre le souffle régulier de Louise qui somnolait paisiblement. Victoire tenta de calquer le rythme de sa respiration sur celui de son amie. Cela eu pour effet de la calmer un peu sans pour autant lui permettre de s'endormir. Cette situation devint bientôt insupportable, d'autant plus que Victoire se trouva la bouche sèche. Elle se leva, s'approcha de son meuble de toilette seulement pour constater que la carafe était vide. La jeune fille se résolut alors à demander l'aide de sa servante Eulalie mais lorsqu'elle ouvrit la porte du cabinet attenant ce ne fut que pour voir un lit tout aussi vide. Elle alluma un bougeoir et sortie dans le couloir. Il était sombre et désert. L'extrémité du corridor semblait l'appeler et elle se rendit alors compte de toutes les opportunités que lui donnait un château endormi. Une escapade nocturne s'offrait à elle. Victoire descendit sur la pointe des pieds plusieurs escaliers et déambula silencieusement, telle une ombre.

Soudain, elle entendit des pas sur sa gauche et, ne voulant pas faire une malencontreuse rencontre – que dirait-on si on voyait une fille de marquis se promener seule en pleine nuit ? – elle se glissa in extremis derrière un ample rideau. Les pas se rapprochèrent davantage et Victoire sentit le rideau bouger. Elle retint son souffle. Mais le promeneur – sûrement un valet ou un garde – s'évanouit bientôt dans le silence paisible du château. Elle sortit discrètement de sa cachette non sans avoir vérifié que la voie était libre. Ce petit incident ne la découragea pas pour autant, et elle continua sa promenade. Elle se dirigea ensuite vers l'entresol, dans une salle où on lui aurait interdit l'entrée en plein jour. Elle trouva rapidement ce qu'elle cherchait.

La salle d'armes.

Les murs de la pièce étaient recouverts de toutes sortes d'épées et des mannequins d'entrainement prenaient la poussière dans un coin de la salle. Victoire, émerveillée, regarda les armes exposées. A travers un soupirail, le clair de lune reflétait les lames de fer au pommeau doré. Elle saisit sans hésitation un fleuret accroché au mur. Il était léger, agréable à manier, et d'une incroyable souplesse. Elle fit quelques moulinés dans l'air. Son frère Philippe ne lui avait pas appris à croiser le fer en cachette pour rien. Elle l'avait déjà même battu à plat de couture, et était extrêmement fière.

Soudain Victoire se raidit en sentant le souffle d'une respiration dans son dos. Elle se retourna, brandissant le fleuret devant elle. Son arme entrechoqua une autre lame de métal. Victoire leva un regard noir vers son adversaire qui se trouvait dans l'ombre.

- Avez-vous la manie d'espionner les gens ou est-ce que j'ai toujours des visions ?

Le chevalier de Crozent esquissa un sourire mais ne répondit pas.

- Vous avez toujours le don d'apparaître au moment où on s'y attend le moins, reprit Victoire en baissant la voix. Vous me suiviez, n'est-ce pas ?

- Vous avez quelque chose qui m'appartient.

- Dans l'hypothèse où j'aurais, en effet, un bien de votre propriété, il est toutefois inexplicable de se lever à une heure indue de la nuit pour aller faire sa requête à l'emprunteuse.

- A moins qu'un rhume ne soit la cause de mon réveil, fit le jeune homme faussement songeur.

- Que diable faites-vous ici ? tonna Victoire.