I - Un étrange énergumène

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- Je sais que tu es conscient.

Cette voix, rauque et profonde m'empêcha de sombrer à nouveau dans les vapeurs du sommeil. Le paysage qui ornait l'arrière de mes paupières était si prompt à m'endormir, que rien que le fait de les soulever m'apparaissait comme un exercice d'intense effort. Alors je les gardais closes.

- Qui a dit ça ? marmonnai-je piteusement, avec cette sensation de gueule de bois prononcée.

Ma gorge était atrocement desséchée, et ma question ressemblait plus à un râle qu'à autre chose.

- C'est moi qui ai parlé petit. Je pourrais te conseiller d'ouvrir les yeux si tu veux savoir à qui tu t'adresses.

Peu à peu je ressentis les sensations qui revenaient sur ma peau, et la douleur dans ma chair et dans mes muscles. Assez pour me garder éveillé, pas suffisant pour me tordre en geignant la bave aux lèvres. Supportable.

Je sentais que j'étais couché sur le ventre, la joue gauche au sol, sûrement sur de la terre au ressenti de l'humidité et de son inégalité, et qu'un poids occupait mon dos.

Avec beaucoup de difficulté, j'ouvris mon œil droit.

Tout était flou, les contours étaient plongés dans l'obscurité, je dus patienter plusieurs minutes avant de pouvoir distinguer le décor autour de moi et la mystérieuse personne. Des questions fusèrent dans mon esprit ; Où étais-je ? Qu'est-ce que je faisais là ? Qui était cet homme ? Et plus perturbant encore ; Qui étais-je ?

Nous nous trouvions dans une sorte de petite clairière plongée dans la pénombre. Des arbres immenses s'élevaient vers un ciel sombre et sans lumière, étendant leurs branches noueuses de toutes parts. Aucun vent ne vint perturber ces feuilles si fièrement accrochées, pourtant je suivis le trajet de l'une d'entre elles, qui descendit lentement dans l'air lourd. Je pouvais distinguer chaque nervure, mêmes ces petites inégalités dues à un quelconque insecte herbivore, et quand elle toucha l'herbe, son ballet aérien fut stoppé net. Je laissai alors dériver mon regard sur l'homme qui m'avait interpellé.

Mon interlocuteur était nonchalamment assis sur un arbre couché au sol. Ce majestueux chêne avait dû passer déjà un sacré bout de temps contre le plancher des vaches. Du lierre entourait son écorce craquelée et des champignons blanchâtres s'étaient développés en son coeur à vif. Puis mes yeux se recentrèrent sur l'homme au timbre rauque.

Il se dégageait de lui une véritable puissance, et à cela se rajoutait la luisance verdâtre qui émanait de ses yeux. Ce n'était pas une nuance de vert naturelle, non, c'était malsain, vicieux, ça scrutait jusqu'au fond de la rétine.

Je me mis en appui sur mes coudes pour tenter de me relever, le poids sur mon dos disparu dans un cliquètement sinistre.

Je me frottai les yeux d'une main et dévisageai mieux l'inconnu qui me faisait face sans sourciller devant mon insistance.

Il devait avoir dans la trentaine, des cheveux d'un noir de jais qui lui arrivaient à hauteur du lobe d'oreille, des yeux vert émeraude rehaussés de sourcils bien dessinés de couleur ébène, ainsi qu'un nez droit juste au dessus de ses lèvres fines.

Il était drôlement bien bâti, mais pas que, tout dans son attitude m'effrayait, m'intimidait. La deux choses qui me retenaient de m'enfuir à toute allure, c'était le fait que je ne pouvais pas encore mouvoir mes jambes et que ses traits anguleux dégageaient une certaine familiarité, bien que je fus sûr de ne jamais avoir croisé ce type. Je fixai le blanc de ses yeux, apeuré à l'idée de croiser son regard.

Ses iris, fixes durant mon inspection, se mirent en mouvement en croisant directement les miens, comme s'ils savaient que je les regardais.

Je scrutais la profondeur de son regard, mais plus je le regardais, plus je m'y perdais, et cela commençait à me faire perdre mes moyens.

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