XIII - Un duo atypique

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Valérian 

Cela faisait une bonne demi-heure que moi et Solweig avions quitté l'auberge chaleureuse.
La gérante de l'établissement n'avait pas vraiment été enchantée que je quitte son hébergement si tôt, mais elle avait dû s'y plier quand le Méta lui avait lancé un regard plus sombre que sa couleur de cheveux.
Le dragonnier avait abandonné sa veste et ses gants, il avait aussi raccourci les jambes de son pantalon. 

Il ne semblait pas s'adapter avec facilité au climat plutôt clément de cette région.
Mais à mon humble avis, cela ne me dérangeait guère vu que j'héritais de ses couches de vêtements supplémentaires. 
Nos rôles s'étaient inversés, il était en t-shirt et moi recouvert d'un manteau bien chaud. Cela ne me déplaisait pas, je me sentais beaucoup mieux ainsi.

Je ne comprenais pas comment l'américain pouvait transpirer autant alors que la température n'était pas fort importante. Les bourrasque provoquées par l'envol des créatures ailées étaient pour ma part plutôt rafraichissantes.
De plus, ses cheveux longs ne l'aidaient en rien.
Il ne paraissait pas tellement gêné d'exposer ses bras et ses mains au regard des gens.
Ceux-ci nous contournaient, ce qui nous empêchait d'être embêté pendant nos recherches.
- C'est si rare que ça d'avoir six stades ? lui demandai-je. 

Un sourire fendit sa barbe.
- Sachez que mon surnom n'est d'actualité qu'à la Surface. Dans l'Entreterre, c'est différent. On ne dirait pas comme ça mais je peux être une vraie tête brûlée...
- Ça ne répond pas à ma question. 
- Oui, c'est rare. 
- Il y a un nombre limité de stades ?
- Je ne pense pas... mais le plus que j'ai vu, c'est sur mon bras.
- Ah. J'imagine que vous êtes plutôt bagarreur. Pourquoi on vous a surnommé vieux pacifique ? 
Solweig se gratta le menton, ses yeux bleus levés vers le ciel empli de dragons aux couleurs vives.
- En fait, ça vient du fait que je répugne à impliquer des humains dans nos conflits. J'ai repris le flambeau de mon père après sa mort, j'ai gardé son idéologie. Même si je ne l'ai pas connu très longtemps, je l'idôlatrais... mon paternel. Mais je n'ai aucun scrupule ici-bas. Beaucoup de dragonniers sont détraqués...
- C'est pour ça que vous recherchez Aeknavor ? Pour le tuer ? 
- Non, justement je veux le remercier. 
Je pouffai.
- Faire un voyage de plus de sept mille kilomètres pour adresser des remerciements à un Adjeti timbré, on aura tout vu !
- Lequel de nous deux est le plus cinglé, en sachant que vous cherchez à aller contre les lois de la nature ?

Je soufflai assez fort pour qu'il l'entende.
Depuis qu'on était en train de marcher il s'estimait bon à me faire la morale...
Il ne sait pas ce que ça fait de ne se souvenir de rien.
Ce gars avait un nom, se souvenait de sa famille, de son pays et de ses objectifs. 
Moi j'avais retrouvé récemment le premier et le troisième, quant aux deux autres ils ne m'étaient pas encore parvenus à l'esprit. 
Et ce dragonnier métamorphe se sentait obligé de me faire écouter sa tirade vis à vis des phénomènes génétiques, selon lesquels un Martyr ne peut pas retrouver sa mémoire.
C'était justement parce que personne n'avait cette envie en tête.
Si je le voulais, je pourrais.
Je ne savais pas encore comment, mais je comptais un peu sur l'aide du Méta, on avait passé un marché après tout.
Si jamais il ne le respectais pas, je lui ferais comprendre mon point de vue. Pas le tuer, juste lui faire assez mal pour qu'il regrette cette décision.

[[ Et tu t'en estimes capable ? ]] railla Sorenko. 
Ah oui, lui aussi il nous suivait, tout en marmonnant un charabia incompréhensible. 
À la fin il s'était ajouté aux bruits parasites, mais maintenant qu'il m'avait interpellé je recommençai à me concentrer sur son monologue de grondements. 
- Tu vas la fermer ? grognai-je. 
Mon dragon m'ignora et continua à déblatérer des propos qui m'échappaient.
Je voulus lui fourrer mon poing dans le museau quand la main de Solweig intercepta mon bras.
C'était la première fois que sa peau entrait en contact avec moi, et même à travers le rembourrage de la veste, je sentis la tension entre ses doigts.
Je repensai alors avec amertume à la question moqueuse de Sorenko. 
Non, je ne serais pas capable de le mettre hors d'état de nuire si je devais un jour m'opposer à lui.
Lui, j'en étais persuadé, pouvait me broyer le bras sans le faire exprès, je n'avais pas compris à quel point Solweig se retenait.

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