Chapitre 3

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Alors il n'est pas harcelé que par ces deux moins que rien de ma classe...

Je me rapproche assez pour que le garçon me remarque et lève la tête.

- Hm? Encore toi? qu'est-ce que tu fais là ?

Je défie son regard à nouveau ces yeux ne laissent transparaître aucune émotion. C'est à se demander s'il est vraiment humain.

- Je suis revenu pour continuer la conversation de cet après-midi, et pour savoir quelque chose d'autre... Mais d'abord, nettoyons ça.

- Ça sert à rien, dans deux ou trois jours, la table sera sale encore une fois.

Je le regarde avec un peu de pitié, en me demandant pourquoi les professeurs qui sont clairement conscients de la situation au vu de l'état de son bureau ne font rien.

- Pas grave, dans ce cas là, on verra ce qu'on fera dans deux ou trois jours.

J'ai vraiment dit ça, comme si on allait se revoir, ou même qu'on allait devenir amis. N'importe quoi — Je prends un seau dans le placard à balais de la classe.

- Je vais aller le remplir d'eau, et ensuite on pourra s'occuper de ton bureau, ça nous permettra de discuter en même temps.

Je pars avec le seau, me dirigeant vers les toilettes les plus proches de la salle, le type aux cheveux blancs m'observe partir avec son regard habituel et les sourcils légèrement froncés. Une fois le récipient à peu près rempli de moitié, je retourne dans la salle. — Ce mec n'a pas bougé d'un centimètre, il me regarde avec cette satanée même expression qui ne renvoie rien.

- Bon allez au boulot monsieur le robot, je vais pas faire ça tout seul.

Sans un mot, il prend une des deux éponges qui trempait jusqu'alors dans l'eau et commence à frotter la table. Je fais donc de même et quelques minutes se passent sans aucun bruit, aucune mouche n'osait voler afin de briser ce silence de mort —plusieurs fois, j'hésite à parler pour briser la glace, mais aucun mot ne savait sortir de ma bouche. Alors que j'allais enfin me résoudre à abandonner, il fut celui qui pris la parole.

- Pourquoi tu fais ça?

-Fais quoi?

-... Pourquoi tu m'aides?

Je réfléchis quelques secondes en hésitant à lui répondre

- ...Je peux pas te laisser tout seul comme ça, j'suis pas un monstre.

- Hm.

Sa réponse sèche qui tendait même sur du dégoût ne me laisse pas indifférent, pourquoi est-ce qu'il réagit comme ça ? qu'est-ce que j'ai dit encore? C'est mal ce que je fais? Non. je l'aide, c'est comme ça qu'il me remercie? Je regrette presque d'être gentil avec lui. — J'ai l'impression qu'il me déteste alors qu'on ne s'était jamais parlé auparavant, chaque fois que j'essaye d'être gentil avec lui, il finit toujours avec cette même expression. — Il m'énerve.

- De toute façon, c'est sûrement la dernière fois que je t'adresse la parole, moi j'étais juste venu pour te demander quelque chose à la base.

- Qu'est-ce que tu veux savoir?

- Ton nom.

-... Nagi.

Réponse courte et sèche à nouveau ça m'énerve énormément, je pouvais même déceler une once d'hésitation dans sa voix, — ce type a même hésité à me donner son prénom? Je comprends que les gens ne l'aiment pas vu à quel point il est peu reconnaissant et aussi horrible en communication, je l'ai aidé plusieurs fois aujourd'hui mais il a l'air de s'en foutre complètement — Je ne sens pas une once de gratitude dans sa voix, j'en ressens encore moins dans ses yeux. J'aimerais lui dire à quel point il m'énerve, mais je me dois d'être parfait en toute circonstances. Je n'ai pas le droit à l'erreur en lui disant ce que je pense vraiment. Même un moment seul avec lui pourrait m'être fatal.

On finit de nettoyer sa table encore très abîmée — au moins elle n'est plus sale. Je suis encore sur les nerfs et la seule chose que je veux faire c'est partir. Alors je me dépêche de ranger toutes les affaires que j'ai sorti du placard à balais et me dirige ensuite vers la porte.

- J'y vais.

Je ne prends pas la peine d'écouter son au revoir, ou encore même de le regarder, ça pourrait me faire briser mon role de personne parfaite dans tout ce qu'elle entreprend, celle qui est adorée de tous, de par ses innombrables talents et à son caractère bienveillant — ça pourrait montrer mes réels sentiments, montrer que je suis faible face aux gens, faible face à mes propres émotions — et ça, c'est la dernière chose que je veux: Je refuse qu'il sache que sa présence m'a affecté plus que ce que je ne laisse transparaître.

Je sors rapidement de l'école et me dirige vers chez moi. La colère reste bloquée dans ma gorge. J'ai juste envie de lui dire à quel point moi aussi j'ai une vie compliquée qu'il n'est pas le seul à agoniser dans le silence, mais qu'en plus moi, comparé à lui, je dois tout enfouir à l'intérieur de moi, cacher qui je suis, cacher ma souffrance, cacher ma vraie nature, je l'envierais presque d'avoir le droit de souffrir en toute liberté. Ça a l'air horrible de penser comme ça mais je suis tellement énervé que ses pensées immondes fuient de partout: je n'aurais jamais dû le revoir.

Une fois arrivé chez moi, je jette mon sac près de mon bureau et saute sur mon lit. J'ai envie de crier à plein poumons que moi aussi, je souffre, j'ai envie de montrer à tout le monde ce qu'est le prix de la perfection, la pression pour être le meilleur dans absolument tout, l'interdiction d'être soi-même. — Mais je réalise vite après que si je me réduisais à faire ça, les gens n'auraient aucun scrupule à se servir de moi encore plus. L'univers n'a-t-il donc aucune pitié a mon égard? Pourquoi ne me donne-t-il pas un endroit où je peux être qui je souhaite sans avoir peur des conséquences? N'y a-t-il donc aucune justice? — ce monde est vraiment odieux, il est bien trop inégal.

Le pire ce n'est même pas ce que je vis, c'est que les gens m'envient pour ce que j'ai, j'ai plus qu'horreur des ignorants qui n'ont aucune idée du prix que je paye pour avoir cette vie.

Alors que l'envie me prend de faire voler toutes mes affaires par la fenêtre et de voler par celle-ci à la même occasion, je repense à ses yeux, ses yeux sombres qui me dérangent tant. — J'essaye de me sortir ses images de la tête mais rien n'y fait, ni les cours, ni mon téléphone, ni le repas qui était prêt quelques minutes plus tard: je pensé à ses yeux toute la soirée.

Pourquoi faut-il que je pense à ça à un moment pareil? Mon aversion et ma colère contre lui finirent par devenir autre chose, je suis intrigué par lui, pourquoi je ressens un truc pareil? Il ne m'apprécie même pas de son côté, je devrais moi même le détester, alors pourquoi étais-je si intrigué?

Toute la soirée, je n'ai songé qua ça — je me pose des questions sur lui mais surtout sur moi-même, je ne comprends pas ce qui se passe.
Le lendemain, avant même que mon réveil ne sonne, je suis déjà réveillé: j'ai très peu dormi cette nuit à cause de toutes les questions qui vinrent et repartirent aussitôt dans ma tête. La solution était évidente, et je m'y étais déjà résolu.

Je devais le revoir.

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Y'a des fois, je relis mes chapitres, puis j'me rend compte que j'ai laissé une énorme faute.

J'la regarde et j'me dis
« j'suis trop con, comment j'ai pu laisser passer ça?

Merci d'avoir lu!

Invisible(s)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant