01-"L'Ombre du Manoir Éternel"

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Dans l'ombre des arbres centenaires, leurs feuilles bruissant doucement sous la caresse du vent, je me tiens, seule héritière d'un passé immortel. Le manoir, majestueux et solennel, témoigne de la grandeur de ma lignée, mais aussi de l'absence qui hante chaque pierre, chaque recoin.

Mon père, ce mystère enchaîné à l'éternité, a choisi de s'éclipser dans l'obscurité de l'amour, abandonnant sa fille à la solitude. Le nom de celle qui l'a ensorcelé s'évapore dans mes souvenirs, un murmure lointain devenu presqu'étranger. Kanchala. Oui, c'était elle. Une présence fugace dans le théâtre de ma jeunesse éternelle.

À cette époque révolue, nous nous tenions ensemble dans les ombres de ce manoir éternel, défiant le passage du temps alors que j'étais à l'apogée de mon enfance. Mais aujourd'hui, son absence se fait cruellement sentir, malgré les années qui ont passé et l'usure de la vie. Pourquoi ne puis-je simplement l'oublier?

Les siècles s'écoulent, impitoyables et furtifs, mais mon souvenir de ses derniers mots reste gravé dans ma mémoire comme une empreinte indélébile. "Je ne peux plus vivre sans elle", avait-il murmuré, ses yeux chargés d'une passion que je ne comprenais pas à mes dix ans et que je ne comprends toujours pas. "Ma chérie, je t'aime tout autant. Nous nous retrouverons dans cette ville, sous les étoiles éternelles que tu veilles. Prends soin de ton oncle, comme il prendra soin de toi au fil des siècles."

Dès lors, dans les jardins envoûtants de notre manoir, je demeure, gardienne des souvenirs et des secrets, en quête d'une vérité insaisissable : l'amour, ce mirage éblouissant ou cruel mensonge?

Se peut-il que mon père ait réellement envisagé que je prenne soin de mon oncle, ce fardeau? Celui qui oublie tout de son existence tous les vingt ans? Quelle farce. Pourtant, il demeure une figure paternelle, ses souvenirs revenant fidèlement chaque cinq ans après l'oublie, une étreinte éphémère dans le labyrinthe de l'immortalité.

— Annabelle, ton bain est prêt, annonce-t-il en s'approchant avec un sourire en coin.

Un soupir s'échappe de mes lèvres alors que je lui fais un signe de tête, pénétrant dans cette scène sans vie. Les regards figés des portraits témoignent de mon éternité, une toile de fond muette de ma destinée sans fin.

Dans la froideur de ma chambre, je m'immerge dans les eaux accueillantes, une oasis dans le désert de ma solitude. Les murmures du passé s'amplifient, les voix des ancêtres chuchotant des récits intemporels.

Un doux parfum de jasmin embaume l'air, rappel d'une époque où mon amie, Silianie et moi étions complices contre les ombres du manoir. Mais elle n'est plus qu'un écho lointain, perdue dans les méandres de ma mémoire.

Les tensions invisibles s'apaisent sous les caresses de l'eau. Mon oncle, gardien fidèle de mes jours éternels, veille en silence, son visage marqué par les années, son amour inaltérable.

L'amour. Ce mot résonne toujours comme une ironie, une blague. Existe-t-il vraiment ? Ces dieux qui prétendent avoir créé leurs enfants avec amour, Est-ce vrai ? Ils se disent omniscients, omnipotents et omniprésents, donc ils savent tout, et pourtant ils ont quand même créé cet univers, cette terre. Je suis sûr qu'ils regardent l'humanité en riant.

Au creux de la bulle d'oubli de mon bain, je cherche refuge. L'eau, tourbillon apaisant, pourrait-elle offrir la clarté que mon esprit immortel désire ardemment ? Peut-être, dans ces reflets liquides, trouverai-je les réponses à mes questionnements séculaires sur l'amour et la nature des dieux qui semblent se jouer de nous.

Après ce moment de détente dans l'eau, je descends majestueusement les escaliers en marbre pour prendre mon petit-déjeuner. Je le vois assis là, avec des yeux reflétant certaines émotions, la souffrance, la douleur peut-être ? Je me demande toujours s'il n'en a pas assez de vivre.

— Que feras-tu pour aujourd'hui ? Me demande t-il sans me regarder.

— J'ai entendu dire de Martha qu'une de nos famille a été mutilée. Devrions-nous aller jeter un coup d'œil ?

— Le temps a évolué et l'existence de ces créatures me laisse toujours sans voix. Comme d'habitude, Je ne pense pas que nous devrions nous impliquer car je suis sûr que c'est probablement une branche mineure sous la responsabilité des Iris ou des Heter. Ils sauront gérer.

— Tu as peut-être raison mais oncle, ne suis-je pas l'une de ces créatures ? Lui rappelé-je.

— Je me demande quel est le plan des dieux. Pourquoi ont-ils décidé que tu partagerais le titre de gardien avec moi alors qu'ils t'ont donné une immortalité liée à une soif de sang. Réplique-t-il, ses mots résonnant dans l'air comme une accusation.

Seuls les dieux détenaient cette réponse, et nous le savions tous les deux. Nous portons nos propres fardeaux. Je ressens l'isolement, tel un manoir vidé, chargé de sombres présences. Mes émotions me poussent parfois à maudire les dieux, me demandant ce qui les anime. Mon père a transféré sa vitalité à une femme devenue immortelle, sachant que mon oncle en subirait les conséquences, mais prétend que c'était par amour. Avant que les dieux ne les condamnent à travailler dans une ville dont j'entends dire que je suis la gardienne. Quel mensonge!

Énervée contre eux depuis ce jour, je les appelle, cherchant l'origine de cet amour sacrificiel, me questionnant sur mon incapacité à aimer, sur cette nécessité de me nourrir du sang de mon oncle. Les dieux semblent insensibles, comme s'ils avaient mis des écouteurs ou sont-ils sourds ? Sont-ils vraiment des dieux ou de mauvais esprits ? J'aurais aimé qu'ils répondent, ces êtres déconcertants. Je me sens comme un poisson pris au piège. Est-ce cela qu'on appelle la grâce ? La paix me demeure inconnue, car je lutte avec cette soif de sang depuis mes onze ans.

Malgré tout, j'essaie de respecter leurs préceptes. Je sais qu'ils entendent, mais refusent de répondre. On dit que les dieux opèrent des miracles, mais cela me plonge souvent dans le doute, me faisant penser peut-être les ai-je agacés ou mes prières ne les atteignent pas. À l'extérieur, je parais bien, mais à l'intérieur, je suis malade, comme s'ils m'avaient déjà jugée et que je sois déjà en enfer.

Désirs ImmortelsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant