2 - Les sorcières

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  La matinée passa, lentement mais sûrement. A l'heure du déjeuner, Robin m'emmena à la cantine, qui n'était pas du tout comme la cafet' en Amérique. Voyant que j'étais perdue, il eut la gentillesse de m'expliquer comment se passait la cantine en France. Une fois installés, la conversation s'installa.

   — Comment ça se fait que tu parles aussi bien français ? Sans vouloir te vexer, t'es un peu le stéréotype de la parfaite petite américaine : cheveux blonds, yeux bleus, et en plus t'étais cheerleader !

  Je souris en me rendant compte que ça n'est pas faux, même si mes cheveux tirent plus sur le roux que le blond.

   — Quand j'étais petite, on vivait en France avec mes parents, donc on parlait le français comme tout le monde. Puis ils se sont séparés quand j'avais sept ans et ma mère est rentrée au États-Unis avec moi. Là-bas, on a continué à parler français à la maison. Et puis... Je suis venue ici.

   Je restai un moment plongée dans mes pensées. Ces souvenirs me faisaient atrocement mal. Robin respectait mon silence sans rien ajouter. Ce matin, j'avais bien vu qu'il avait compris, mais il faisait quand même preuve de délicatesse. C'était sympa de sa part.

  Il finit par reprendre la parole, tout doucement :

   — Moi je vis avec ma mère et sa sœur. Et tous mes frères et sœurs et mes cousins. On est neuf à la maison. Mon père est décédé quand j'avais dix ans, et mon oncle s'est enfui il y a deux ans.

  J'ouvre des grands yeux sans trop savoir quoi dire. Un petit "Oh" s'échappe de mes lèvres, et je le regrette aussitôt. Puis je me rappelle combien il a été sympa et je rougis, embarrassée. 

  — Je suis désolée. Je...

  — C'est pas grave, t'inquiète, me rassure-t-il, avec un sourire chaleureux. J'ai appris à vivre avec.

  Il ouvre la bouche pour ajouter quelque chose quand soudain le volume des conversations dans la cantine baisse d'un coup. Je tourne la tête dans tous les sens pour essayer de comprendre pourquoi, quand je m'aperçois que tout le monde a les yeux rivés sur un groupe de filles qui viennent d'entrer, leurs plateaux à la main. Elles sont cinq, toutes habillées de noir, et n'ont pas l'air d'avoir conscience de ce qui se passe autour d'elles. Elles marchent vite et vont s'asseoir à une table libre, sans se parler ni même regarder les autres. D'ailleurs, tout le monde prend bien soin de ne pas les regarder, sauf moi. Au moment où elles posent leurs plateaux, l'une d'elle lève soudain la tête et me jette un regard inquisiteur. Ses yeux sont étranges, d'un brun tellement clair qu'on dirait de l'or. Je frissonne.

  Dès que les conversations reprennent, moins fort quand même qu'avant leur arrivée, je me tourne vers Robin et lui demande :

  — Mais c'est qui, ces filles ? 

  — Ces filles, me répond Robin avec un regard dur, c'est Alizée, Mégane et Eleanor Fernandez, et Suzanne et Cassandre Aguilera. Elles sont arrivées en début d'année. Eleanor est en première, Cassandre en seconde, je crois qu'elle a sauté une classe, et les autres en terminales. Il y a pas mal de rumeurs qui courent sur elles, notamment une qui affirme que ce sont des... (il déglutit et ajoute un ton plus bas :) des sorcières.

  Je lui jette un regard interloqué. Moi qui le prenait pour quelqu'un de sérieux !

  — Mais t'es au courant que la magie, les sorcières, les fées et tout le tralala, ça existe pas ?

  — Bien sûr ! se défendit-il. Ce ne sont que des rumeurs. Mais je t'assure qu'il ne faut pas les fréquenter. Elles sont bizarres.

  — De toute façon, rétorquai-je, elles n'ont pas l'air très aimables. Je ne crois pas qu'elles apprécieraient de me parler.

  On finit de manger en silence, et, bizarrement, je ne peux m'empêcher de jeter des coups d'œil vers leur table. Ces filles me troublent. Je n'arrête pas de penser au regard que m'a jeté une des leurs tout à l'heure. Et pourtant il n'y a aucune raison.

  "Oublie-les", me tannais-je en pensée. En vain.

  Une fois nos repas avalés, on s'est dirigés avec Robin vers nos cours suivants, à savoir espagnol et LCE anglais pour moi et allemand et grec pour lui. Je n'étais pas super contente d'être seule pour mon premier après-midi, mais il faudrait bien que je m'y fasse si je voulais tenir jusqu'à la fin de l'année.


Les sorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant