12 - La magie

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  La semaine suivante, j'allai chez Eleanor pour un nouveau devoir d'espagnol. On n'avait pas reparlé de mon rapport avec la magie, et à ma demande sa famille n'était pas au courant. Pourtant je n'arrêtais pas d'y penser. En soi, ça devrait être impossible que je sois une sorcière, non ? Mes pouvoirs auraient dû se déclarer bien plus tôt. Mais le fait que ma grand-mère soit une sorcière ne me surprenait pas tant que ça. Je ne savais plus que penser.

  Ce jour-là, seules Mégane et Cassandra étaient présentes, ce qui rendait la maison incroyablement calme et silencieuse. 

  Dès que j'eus passé la porte de sa chambre, Eleanor me fit asseoir sur son lit. Elle prit une grande inspiration et me regarda droit dans les yeux :

  — Summer, il faut qu'on parle.

  Je ne voyais pas du tout où elle voulait en venir.

  — Qu'on parle de quoi ?

  — De tes pouvoirs.

  Je me rembrunis.

  — Tu sais bien que c'est impossible. Je le saurais sinon.

  — Oui, sûrement... Mais peut-être que non. Summer, l'autre jour tu m'as dit que ta mère n'aimait pas la magie, pas vrai ?

  — Elle n'aimait pas qu'on en parle, en tout cas. Et elle n'aimait pas non plus quand ma grand-mère me racontait des histoires dessus. Mais elle ne l'aurait pas fait si elle avait des pouvoirs, si ?

  — Eh bien peut-être que si, justement. Je n'ai pas arrêté d'y penser, et j'ai une théorie à propos de ça.

  — Vas-y.

  — On sait déjà que ta grand-mère était une sorcière. Donc sa fille aurait dû l'être aussi.

  Voyant que j'ouvrais la bouche pour répliquer, elle m'ordonna :

  — Ecoute-moi jusqu'au bout, s'il te plaît.

  Je la refermai aussitôt.

  — Si on avait dit toute sa vie à ta mère que la magie est une mauvaise chose, peut-être qu'elle l'aurait détestée aussi. Sauf que sa mère avait des pouvoirs, donc impossible. Sauf si elle a subi quelque chose qui l'a conduite à vouloir réprimer sa magie. J'ai demandé à ma mère. Si une sorcière hait à ce point ses pouvoirs, c'est possible qu'elle l'enfouisse tellement au fond d'elle que ce soit comme si elle était une humaine normale. Toi en revanche, tu as grandi avec une mère qui n'aimait pas la magie. On en revient donc au premier cas que j'ai énoncé.

  — Si je suis ton raisonnement, c'est la faute de ma mère ?

  — Non, ou peut-être pas consciemment. Elle avait quand même la capacité à contrôler la magie. Donc si elle lui avait interdit de s'approcher de vous, la magie n'aurait pas pu te trouver, même avec des pouvoirs.

  — Je crois que je vois ce que tu veux dire.

  Son visage s'éclaira, et elle me sauta au cou.

  — C'est vrai ? Tu y crois ?

  Voyant que j'avais les larmes aux yeux, elle s'écarta, inquiète.

  — Summer ? Ça va ?

  J'avais l'impression que mon cerveau ne fonctionnait plus. Je commençais à respirer vite, trop vite.

  — Non.

  Pas maintenant, pitié, pas maintenant. Comprenant ce qui se passait, Eleanor vint m'entourer de ses bras et me parla d'une voix douce et rassurante, comme la dernière fois.

  — Summer, écoute-moi. Ça va aller, d'accord ? Tout va bien se passer. Prends ton temps. Respire. Ça va aller.

  Que j'arrive à l'entendre était une bonne nouvelle. Je respirai lentement et réussis à me calmer avant que je ne parte trop loin. Je ne voyais plus rien, par contre.

  Ce n'est que quand mon amie me tendit un mouchoir que je me rendis compte que c'était parce que je pleurais. Elle vint s'asseoir à côté de moi, en silence. Au bout d'un long moment, je prit la parole :

  — Montre-moi.

  — Que je te montre quoi ? fit-elle sans comprendre.

  — La magie. Je veux savoir.

  Elle m'interrogea du regard.

  — Tu es vraiment sûre ? Tu viens de faire une crise d'angoisse il y a à peine deux minutes.

  — Sûre. Ça a l'air tellement extraordinaire quand vous en faites ! Si c'est possible pour moi de ressentir la même chose, alors je veux essayer.

  — Eh bien, pourquoi pas. Tu pourrais déjà essayer de sentir la magie. Après tant d'année à la repousser, ça ne va pas être facile.

  — Euh... OK.

  Je fermai les yeux pour tenter de me concentrer. Puis je les rouvris.

  — Je suis censée chercher quoi au juste ?

  Elle me regarda avec des yeux ronds. Normal, elle avait toujours su ce que c'était, la magie.

  — On va faire autrement. Donne-moi ta main.

  Un peu hésitante, je lui tendis la main, qu'elle prit dans la sienne. Sa main à elle était chaude et douce.

  — Je vais invoquer la magie avec toi, d'accord ? C'est normal si tu ressens des choses que tu ne ressens pas d'habitude.

  — Ça marche.

  Elle sourit et d'un coup, l'air dans la pièce se mit à étinceler. Les paillettes semblèrent se rassembler et tourner autour de moi, et j'avais l'impression quelque chose leur répondait, caché dans un coin de ma mémoire. C'était à la fois doux et pétillant, et j'adorais ça. J'éclatai de rire. C'était merveilleux.

  La voix d'Eleanor me ramena à la réalité.

  — Vas-y, Summer ?

  — Euh... Je fais quoi ?

  Elle haussa les épaules. 

  — Comme tu veux ! C'est ton tour !

  Une idée germa dans mon esprit. Des fleurs, des milliers de fleurs qui embaumeraient la pièce, de tous les parfums et de toutes les couleurs, ce serait génial, non ?

  Dès que j'eus fini de formuler mon idée, des fleurs apparurent autour de moi. Je ris, enchantée. Ça avait marché ! Aussitôt, un cri nous parvint de l'étage :

  — Eleanor ! Qu'est-ce que t'as encore fait !

  Elle se précipita vers la porte. Les fleurs avaient envahi le couloir, et les chambres des filles visiblement. D'un geste du poignet, elle les fit disparaître.

  — Désolée, marmonnai-je.

  Le grand sourire qui s'étalait sur mon visage me décrédibilisait un peu. 

  — Pourquoi des fleurs ? me demanda mon amie.

  — Je ne sais pas. J'avais juste envie de couleurs.

  — Eh bien on a de la chance que ce ne soit pas de la peinture qui soit apparue !

  On éclata de rire toute les deux.

  — On recommence ?

  On a continué pendant plusieurs heures, et quand mon père est venu me chercher, on avait totalement oublié le devoir d'espagnol. Tant pis. La magie valait dix fois mieux. Toute la soirée, je ne pouvais contrôler le grand sourire qui apparaissait dès que j'y pensais.   

Les sorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant