4 - Eleanor

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  Les autres jours se passèrent à peu près normalement, pour autant que j'en sache dans un lycée en France. La petite brunette qui partageait mes cours de LCE s'appelait Constance, et je fut rapidement invitée à manger avec elle et sa bande. Le midi, Constance parlait tout le repas, avec ses amies Noëlie et Angèle. J'étais coincée entre elles et le couple Dorothée-Thomas, qui passaient le repas à se regarder dans les yeux. J'avais au moins réussi à amener Robin avec moi, ce qui n'étais peut-être pas une si bonne idée, au vu des regards énamourés que lui lançaient mes trois voisines. Quand je posai la question à Constance, sur le chemin de la LCE, elle me répondit en rougissant :

  — Summer, tu ne te rend pas compte de ta chance.

  Je lui jetai un regard étonné.

  — Pourquoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?

  — Mais rien, justement ! Robin est un des garçons les plus beaux du lycée, on est toutes amoureuses de lui, sauf que lui ne parle jamais à personne, et pour ton premier jour, ton premier cours ici, il devient comme par hasard ton ami !

  Je profite qu'elle reprenne son souffle pour lui demander :

  — Attends, tu crois qu'il est... amoureux de moi ? Navrée de te décevoir, mais c'est pas mon genre.

  — J'ai pas dit qu'il l'était, mais c'est une possibilité. En tout cas, si tu ne veux pas, moi j'irai tenter ma chance ! Sérieux, me dit pas que t'as jamais eu de copain et que ça t'effraie ?

  Surprise, j'éclate de rire. Je ne m'y attendais pas du tout.

  — Ah, vu que tu viens de me demander si tu pouvais aller draguer Robin et qu'on est le 7 janvier, je pense que c'est plutôt toi qui est timide ! Plus sérieusement, Robin ne m'intéresse pas, et j'ai eu ma dose de petits copains aux US.

  — Si tu veux. D'ailleurs c'est super stylé cette phrase. Et le fait que tu viennes des États-Unis, et que tu sois super belle.

  Je hausse les épaules. Je sais que les gens me trouvent belle, mais je n'y accorde de l'importance que pour une potentielle séduction. Pour l'instant, j'avais d'autres choses à faire, notamment aller en cours d'espagnol et tenter de parler à Eleanor.

  Les filles étaient toujours détestées, au lycée. Je ne voyais pas très bien pourquoi, elles étaient encore plus belles que moi, étaient intelligentes, et leur façon de s'habiller était plutôt cool, malgré l'absence totale de couleur.

  J'étais la seule du groupe à faire espagnol, et c'est donc seule que j'avançais en classe. Eleanor était là, à sa place, en train d'écrire je ne sais quoi dans son cahier. Elle ne faisait absolument pas attention à moi. Je m'assis en lui tendant la main, comme la dernière fois.

  — Salut !

  Elle releva la tête vers moi, étonnée, et me serra la main.

  — Salut.

  Bon. Qu'est-ce que j'étais censée faire, maintenant ?

  — Euh, tu sais déjà que je m'appelle Summer. J'aime lire, la musique, la gymnastique, et la nature. Et toi ?

  Elle était encore plus étonnée qu'avant. Bah dis donc, ce lycée était franchement pas cool avec elles. Soudain, je vis une lumière amusée dans ses yeux, qui étaient toujours aussi beaux, soit dit en passant.

  — Tu sais que je m'appelle Eleanor. (Elle baissa la voix.) J'aime les trucs gothiques, le sang, les vampires, et les meurtres.

  Elle avait dit ça d'un ton qui aurait fait flipper Sophia et ses amies. Elle voulait se la jouer Mercredi Adams ? Parfait. Je lui décochais un sourire mi-amusé mi-flippant :

  — Impossible. Tu ne pourrais jamais tuer quelqu'un.

  Là, je l'avais prise à son propre jeu.

  — Et pourquoi ça ? Je suis habillée tout en noir, et il paraît même que je suis une sorcière.

  Cette fois, je voyais clairement l'amusement dans ses yeux. C'est avec un sourire on ne peut plus innocent (je l'espérais) que je répliquai :

  — Justement. Tu es la coupable toute trouvée. Un peu facile, non ? Si un tueur était vraiment intelligent, il se mettrait dans la peau de quelqu'un de joyeux, populaire... Quelqu'un qu'on ne soupçonnerais jamais. Un peu comme moi.

  Elle éclata de rire. Tiens, c'était donc vraiment possible. Une des sœurs Fernandez riait et souriait ? 

  — Vu que tu es nouvelle et que tu viens de me parler, tu es passée automatiquement sur la liste des suspects.

  — C'est pas faux. Mais je te le dis, les gens populaires ont toujours l'air moins coupable que les gothiques. D'ailleurs, si tu veux mon avis, le gothique c'est pas mal mais ça manque de caractère.

  On s'est regardées un instant sans rien dire, un sourire sur les lèvres. En fait, mon père avait raison. Cette fille est beaucoup plus sympa qu'elle n'en a l'air au premier abord. Je viens peut-être de me faire une vraie amie. Je me fis la réflexion qu'elle était encore plus belle quand elle souriait. Puis une question non élucidée me traversa l'esprit.

  — Pas de rapport, mais pourquoi tu m'as regardée, lundi, à la cantine ? 

  Elle hésita un instant sur la réponse.

  — Je pense que tu as deviné que ce lycée a ses petites habitudes. Quand on arrive, personne ne nous parle, personne ne nous regarde. Toi tu étais nouvelle, et tu nous as dévisagé en ayant l'air de ne pas savoir ce qui se passait. Et tu étais assise à côté de Robin, qui mange toujours tout seul d'habitude. Tu as attiré mon regard.

  Je rougis.

  — Désolée d'avoir parue malpolie. 

  — Non t'inquiète pas, je te le reproche pas. Tu as plus de courage que ceux-là.

  Elle désigna de la main les autres élèves, qui feignaient d'être occupés tout en écoutant notre conversation. Avec un peu d'entraînement, ils seraient doués. Je crois que je vais peut-être fonder un club de théâtre.

  — Si tu veux, vous pouvez manger avec nous le midi. Ça ne me dérange pas.

  Elle fait la grimace. 

  — Merci mais... Tu as déjà réussi à réunir Robin et Constance et ses amies à la même table. Je crois qu'on peut s'arrêter là pour les miracles de l'acceptation.

  — Comme tu veux, je répond en haussant les épaules.

  Notre conversation s'arrête là, parce que Mlle Garcia rentre dans la salle.


Les sorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant