11 - Marjorie Faulkner

0 1 0
                                    

  Le lendemain, Eleanor vint chez moi pour réviser un devoir d'espagnol. Mon père m'avait envoyé un message pour me prévenir qu'il rentrerait tard, ce qui nous laissait la maison pour nous seules. Le rêve.

  En rentrant dans ma chambre, je m'effondrai sur mon lit.

  — Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Eleanor en venant s'asseoir à côté de moi.

  — Rien, répondit-je en soupirant. C'est juste que l'annonce du bal de fin d'année m'a rappelé les États-Unis, et... mon ancienne vie. Avant ma mère et... notre amitié.

  Ma meilleure amie resta un moment silencieuse. Puis elle demanda d'une petite voix :

  — Tu m'en veux ?

  — Quoi ? Non ! Je t'adore, ce n'est pas le problème ! C'est juste que... 

  Elle soupira.

  — Je suis désolée.

  — Ce n'est pas de ta faute. Ma vie d'avant me manque un peu, parce que tout était plus facile. J'étais populaire, et mes seuls soucis c'était d'être toujours à la mode et d'être la plus souple. Maintenant, j'ai changé de pays, je ne peux plus faire de gym, tout le monde au lycée me déteste. A part votre famille. Et... ma mère n'est plus là.

  Il y eut un moment de silence. Puis je sentis Eleanor me prendre dans ses bras.

  — Je peux faire quelque chose pour t'aider ? 

  Je l'enlaçai moi aussi. 

  — Tu es déjà la meilleure chose qui me soit arrivée.

  Elle sourit.

  — Pareil pour moi. 

  On est resté comme ça un petit moment. Aucune idée du temps qui a passé, mais en tout cas j'étais réconfortée. Dans mon ancienne vie, personne ne se serait soucié de moi comme ça. Je ne suis pas sûre que Constance et ses amies l'auraient fait non plus, cela dit.

  — Qui est-ce ? demanda soudain Eleanor en désignant le cadre à côté de ma tête de lit, où trônait une photo de moi petite, assise aux pieds d'une dame tranquillement installée dans un fauteuil, en train de me lire une histoire. 

  — Ma grand-mère, il y a une dizaine d'année. Je l'aimais beaucoup. Elle me racontait toujours plein d'histoires quand j'allais chez elle avec ma mère. Mom n'aimait pas trop ça, d'ailleurs. Je ne me souviens plus des histoires en elles-mêmes, mais bon... Elle s'appelait Marjorie Faulkner. Elle est décédée quand j'avais onze ans.

  Mon amie se tourna soudain vers moi, les sourcils froncés.

  — Répète ça.

  — Elle est décédée quand j'avais onze ans ?

  — Non, avant.

  — Marjorie Faulkner ?

  — Oui. Tu es sûre que c'est son nom ?

  — Oui. C'est son nom de jeune fille, elle a divorcé quelques années avant ma naissance. Les filles de sa famille n'étaient pas à fond pour le mariage. Pourquoi ?

  — Je pense que je sais pourquoi tu peux voir la magie.

  — Hein ? Comment ça ? Explique, parce que là je comprends plus rien.

  —  Ta grand-mère était une sorcière, Summer. Ce qui veut dire que tu l'es peut-être toi aussi.

  J'ai littéralement beugué.

  — Je suis QUOI ? Non, tu sais quoi, ça c'est impossible.

  — Tu as vu notre magie, Summer. Les Faulkner sont une lignée de sorcières très ancienne. Une Faulkner a même été impliquée dans l'affaire des sorcières de Salem !

  — Je n'ai jamais fait de magie avant. Et si je suis une sorcière, alors ma mère l'était aussi, et ça je peux te jurer que non. Elle détestait tout ce qui avait trait à ça, et au surnaturel.

  — Ta mère n'en était pas forcément une. Ou elle avait ses raisons.

  — On peut arrêter de parler de ma mère, s'il te plaît ? Je ne tiens pas vraiment à savoir d'autres choses qu'on m'aurait caché toute mon enfance.

  Eleanor poussa un soupir.

  — Je suis désolée, Summer.

  Je sentais les larmes me monter aux yeux.

  — C'est juste que... J'arrive pas à croire qu'elle m'ait caché un truc pareil. Et toutes les deux, d'ailleurs.

  — Je comprends. Bon, on avait pas un devoir d'espagnol à faire, toutes les deux ?

  On s'est assises à mon bureau et on s'est mises au travail. On devait rédiger un texte sur la guerre civile et la dictature Franquiste. Je n'étais pas très active. Je n'arrêtais pas de repenser à ce qu'avait dit Eleanor. Moi, une sorcière...

  — Summer ! Tu m'écoutes ?

  Je sursautai. 

  — Désolée, j'étais perdue dans mes pensées.

  Elle rit.

  — J'ai vu ça ! J'ai dû t'appeler trois avant que tu répondes ! 

  — Oups, désolée. Qu'est-ce que tu disais ?

  Elle rougit, prit une grande inspiration, et se lança :

  — Je... Je me demandais si... Si tu accepterais de venir avec moi au bal de fin d'année.

  Je ne répondis pas immédiatement. Eleanor me demandais de l'accompagner ? Genre, en tant que cavalière ?

  Elle vit mon air un peu sonné et rougit encore plus.

  — En tant qu'amies, t'inquiètes pas. C'est juste, comme personne au lycée ne voudra y aller avec nous...

  Je repris mes esprits et lui sourit.

  — Je comprends, t'inquiète pas. Et je suis d'accord. On ira ensemble.

  Tout son visage s'éclaira d'un coup.

  — C'est vrai ? Trop cool !

  — Par contre, c'est moi qui choisirai nos robes. Et elles seront colorées.

  Elle fit la grimace.

  — Bon, d'accord. Mais pitié, pas rose vif.

  — Mmmh... Peut-être.

  Et j'éclatai de rire à la pensée de ce qui nous attendait.


Les sorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant