3 - La rencontre

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  Après avoir failli me perdre par trois fois, je finis par trouver ma salle d'espagnol. Par chance, la prof n'était pas arrivée, mais tous les autres étaient déjà installés. Il restait une seule place libre, et où ? A côté de la fille qui m'avait jeté un drôle de regard à la cantine. Trop cool. Et ce n'était que mon premier jour ! 

  Non seulement les gens me regardaient quand je suis entrée parce que j'étais la nouvelle, mais ce fut encore pire quand je tirai la chaise à côté de la fille en noir et que je m'assis. Dans un ultime élan de sociabilisation, je tendis la main :

  — Je suis Summer Johnson, la nouvelle.

  Elle me regarda ni d'un air curieux, ni méchant mais... On aurait plus dit qu'elle ne faisait pas grand-cas de ma présence. Elle serra néanmoins ma main tendue en répondant :

  — Eleanor Fernandez.

  Et elle détourna la tête. Tout le monde autour de nous se mit à chuchoter. Sérieusement, ils n'avaient d'autre à faire dans ce lycée ?

  Heureusement, la professeure, Mlle Garcia, arriva, et tout le monde put se concentrer sur le cours. Eleanor ne m'adressa pas la parole de tout le cours mais je sentais parfois son regard posé sur moi. Je parvins à suivre plutôt aisément le cours, même si mes connaissances en espagnol étaient plutôt limitées. Malheureusement, l'ambiance à notre table n'était pas des plus joyeuses, donc ce fut un soulagement quand la sonnerie retentit. Je me dépêchai de ranger mes affaires et de quitter la classe au plus vite.

  Je me rendis en LCE sans me perdre, pour mon plus grand bonheur. Eleanor n'était pas là, je pus donc me placer à côté d'une petite brune que j'avais aperçue ce matin dans notre classe. Je sympathisais avec elle, et elle se révéla être sociale et accro aux potins. Tout le contraire d'Eleanor.  Le cours se passa sans problème majeur, je devins la chouchoute du professeur (ce qui me plaisait bien, je dois l'avouer). J'avais bien fait de m'inscrire à ce cours.

  Mon père vint me chercher ce soir-là. Il travaillait à côté du lycée et je préférais ça plutôt que d'avoir à prendre le bus.

  J'avais à peine attaché ma ceinture que l'interrogatoire commença.

  — Alors ma chérie, ça c'est passé comment cette journée ?

  — Ça passe. Ce matin j'ai rencontré un garçon plutôt sympa qui est dans ma classe. Il m'a aidée à trouver les salles. 

  Mon père haussa un sourcil.

  — Un garçon ? Il s'appelle comment ? Il est mignon ? 

  — Sérieux, papa, je ne tombe pas amoureuse de tous les garçons que je rencontre, quand même ! 

  Il me jeta un regard qui me prouvait qu'il pensait le contraire. Je piquai un fard. 

  — Je sais que j'ai un nombre plutôt élevé de boyfriends l'année dernière, mais là c'est pas pareil. Il est pas mon genre, n'a pas l'air d'être intéressé, et j'ai juste envie de le garder comme ami. Il est sympa. Et si tu veux tout savoir, il s'appelle Robin, et oui, il est mignon.

  Mode rouge tomate activé. Argh, je détestais rougir.

  — Bref. Au déjeuner j'ai fait la connaissance de cinq filles plutôt bizarres. Tu connais les Fernandez et les Aguilera ? 

  Mon père réfléchit un instant. 

  — Je crois qu'ils sont arrivés en début d'année scolaire. Ils vivent en bordure de la ville, du côté de la forêt.

  Il travaille à la mairie, donc il connaît pas mal de monde en ville.

   — Pourquoi tu me demande ça ?

  — Pour rien, c'est juste... Eleanor Fernandez est avec moi en espagnol, et elle m'a parut un peu bizarre...

  Je frissonnais une nouvelle fois au souvenir de son regard perçant. Cette fille m'intriguait au plus haut point. Mon père me jeta un regard sévère.

  — Summer, je sais bien que ces filles sont toujours habillées en noir et que le fait qu'elles restent ensemble puissent te rebuter, mais tu sais bien qu'on t'a toujours appris à ne pas juger sur les apparences. Elles ont vécu des choses très difficiles elles aussi.

  — Ah bon ? Qu'est-ce qu'il leur est arrivé ?

  — Je ne suis pas au courant de tout, bien sûr, mais je sais qu'elles vivent toutes les cinq avec leurs mères sous le même toit, et avec trois petites qu'elles ont adoptées récemment, Zélie, Louane et Ambre, respectivement cinq, neuf, et douze ans. Comme je me suis occupé de l'administration pour les faire entrer à l'école, je sais qu'Ambre et Louane ont sauté une classe, et Zélie deux.

  — Whaouh ! je m'exclame, choquée. Puis je me souviens de ce que Robin a dit ce midi. Cassandre aussi a sauté une classe, que j'ajoute.

  Comment autant d'intelligence peut être concentrée dans deux familles ? Personnellement, être légèrement au-dessus de la moyenne m'a toujours suffi.

  — En tout cas, reprend mon père, ces familles ne se sont pas très bien intégrées. Comme Eleanor est dans ton cours d'espagnol, et que tu es une jeune fille soucieuse du bonheur des autres (à ces mots, regard signifiant que j'ai tout intérêt à l'être), tu vas me faire le plaisir de lui parler.

  — Pourquoi moi ? Elles avaient pas l'air spécialement contentes de me voir ce midi, pourquoi ce serait à moi d'y aller ?

  — Parce que tu sais ce que ça fait d'être nouvelle. Et que je compte sur toi.

  Je pousse un grognement de mécontentement et m'avachis sur mon siège. Cela dit, c'était moi qui avait commencé à poser des questions, et je n'arrivais pas à m'arrêter à penser à elles. Très bien. 

  — J'irai la voir à mon prochain cours avec elle.

  Mon père m'offrit un sourire.

  — Merci ma chérie.

Les sorcièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant