Brutal

Chapitre 12 : Ça n'est pas parce que tu as l'habitude que c'est normal

Rose

           En ce moment, Matisse et moi essayons de nous voir au moins une fois par semaine. Nous ne sommes pas en couple, nous ne sortons pas vraiment ensemble, mais nous nous fréquentons comme si c'était le cas.

Depuis notre première rencontre il y a quelques mois, je me suis attachée. Bien que nous nous fussions à l'origine mis d'accord sur une soirée basée uniquement sur le sexe, des sentiments ont fini par surgir. Sans que je puisse les contrôler, ils ont petit à petit envahi mon cœur, et à présent, je suis quelque peu perdue. Notre one night stand s'est transformé en quelque chose de complètement différent, d'inattendu, de plus sérieux. Et au fur et à mesure que mes sentiments grandissent, mon besoin de les exprimer s'intensifie. Le soucis, c'est que plus j'apprends à connaître Matisse, plus j'ai peur de lui en parler. J'ai peur de le faire fuir.

Matisse est impulsif. Il bouge tout le temps, ne s'arrête jamais. Cet homme est tout bonnement incapable de rester assis plusieurs heures sans rien faire, de se poser, de s'attacher à quoi que ce soit. Il me l'a déjà répété à de nombreuses reprises. Et je crains qu'en lui proposant de se mettre vraiment ensemble il se sente limité, acculé, suffoqué, ce qui n'est pas n'est pas du tout mon but. La relation que nous entretenons en ce moment me convient parfaitement, mais j'aimerais sortir de la case situationship qui ne mène jamais bien loin. Matisse est indépendant, c'est un loup solitaire. Il parle rarement de sa famille ou de ses amis, bien que je sache qu'il en a. Il ne s'épanche pas sur ses sentiments, mise à part l'autre nuit. J'aime ce côté mystérieux qui le rend incroyablement sexy, mais cette facette de sa personnalité rend parfois la communication incroyablement difficile. Tout compte fait, la communication entre nous reste très superficielle. Des anecdotes par-ci par-là, mais je demeure incapable de lui avouer ce que je ressens réellement. Et Matisse ne me facilite jamais la tâche. Dès que je pose une question à laquelle il ne veut pas répondre, il trouve toujours une esquive. Il m'embrasse pour me faire taire, me serre un peu plus fort dans ses bras, me dit de ne pas m'inquiéter et me sourit. Chaque soir que nous passons ensemble, mon amour grandit, mon admiration pour lui s'accroit, je rêve de plus, et pourtant, je suis prête à garder le silence si ça me permet de le garder auprès de moi. Si me taire est la solution, je ne dirai rien.

Ce qui me semble paradoxale, c'est que matisse me montre au quotidien qu'il tient à moi. Certains gestes ne trompent pas. Sa manière de m'enlacer représente plus qu'une simple étreinte. Le soir, dans son lit, lorsqu'il presse son corps contre le mien, j'entends tout ce qu'il ne dit pas, ce que ses lèvres sont incapables de dire. Matisse m'aime. A sa façon. J'en suis persuadée. Je le sens avec chaque caresse qu'il dépose sur ma peau. Chaque passage de ses doigts habiles le long de mon épiderme est chargé de sens, de mots doux, de déclarations d'amour muettes, de passion.

Comme à chacune de nos rencontres, les mots que je meurs d'envie de prononcer patientent au bord de mes lèvres. L'air glacial caresse nos visages. Tandis que mes joues et le bout de mon nez rougissent de froid, Matisse réchauffe mon cœur par sa présence. Mon amant ricane en voyant ma tentative d'imiter ses grandes enjambées. Je ne fais qu'un mètre soixante tandis qu'il fait au moins une tête de plus que moi. Impossible de rivaliser. A côté de lui, mes pas sont ridiculement petits.

Calmement, nous parlons de nos semaines respectives. A vrai dire, Matisse parle peu. C'est plutôt moi, qui bavarde pendant qu'il m'écoute attentivement.

- C'est super intéressant, je te jure. Ça a l'air bête, mais c'est ce qui fait toute la différence entre un bon auteur et un auteur banal ou cliché. Les figures de style sont super importantes en littérature. Ce sont elles qui rendent les romans plus poétiques. Enfin, ça dépend. Si c'est pour écrire des trucs comme « ses yeux brillent comme des étoiles », je me passerais bien de ces métaphores clichés. C'est du vu et revu. Non, je préfère les figures de style plutôt subtile. Celles qui ne sont pas évidentes et qu'il faut décortiquer afin de les comprendre. La litote, par exemple ! Simple et épurée. La litote est vraiment sous-estimée, je trouve. Enfin bref, je dois t'ennuyer avec tout mon français.