Chapitre 16 : La Naissance de Vénus

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Matisse

     J'ai un cadeau pour Rose.

Merde.

Pourquoi est-elle la première personne à qui j'ai pensé pour mes cadeaux de Noël ? C'est à ma famille que j'aurais dû penser, mais non ! L'autre matin, en prenant mon café dans la cuisine, j'ai vu la copie de La Naissance de Vénus de Botticelli qui trône au-dessus de la table et mon esprit s'est immédiatement dirigé vers elle.

Rose contemple ce tableau tous les samedis. Tandis que je bois mon café en silence et me réveille petit à petit, ses yeux se déposent systématiquement sur cette sublime œuvre d'art. Je dois avouer que sa façon d'observer mon œuvre favorite est loin de me laisser indifférent.

Lors de mon emménagement, les murs blancs et vides m'ont beaucoup perturbé. Dénués de personnalité, immaculés, je me suis rapidement senti obligé de les recouvrir. Sans ça, je me sentais claustrophobe, pris au piège dans mon propre foyer. Il fallait que j'y ajoute ma touche personnelle pour m'y sentir enfin chez moi.

Depuis tout petit, j'ai peur du vide. Non, je n'ai pas le vertige. Ça n'est pas la hauteur qui me dérange. Ce qui m'effraie, voire me terrifie, c'est l'absence. L'absence de quoi ? L'absence de tout. Le vide émotionnel. L'isolement. La solitude. Le manque. Cela me vient sans doute de mon éducation et de la façon dont j'ai été élevé.

Parents absents.

Pas d'affection.

Aucune ouverture d'esprit.

Finalement, je me suis élevé tout seul et c'est dans les arts que j'ai trouvé mon réconfort : arts martiaux, peinture, cinéma et j'en passe. L'art est ce qui me tient debout. Ma bouffée d'oxygène. Les arts que je côtoie et pratique au quotidien me maintiennent en vie. Aussi dur à admettre que ce soit, ils me font oublier ma solitude.

C'est sans doute pour cette raison que j'ai été marqué et touché de voir Rose admirer sans cesse l'une des œuvres picturales que j'apprécie le plus. Chaque fois, sans faute, elle analyse et détaille la Vénus du regard, ignorant complètement l'effet que cette vision me provoque. Parfois, elle l'observe avec tant d'insistance que je me demande ce qu'elle finit par y voir. L'art possède-t-il une place centrale au sein de sa vie comme c'est le cas pour moi ? Perçoit-elle les choses avec la même intensité ?

Tandis que Rose admire le tableau, les yeux remplis d'une étrange lueur, moi, c'est elle que je regarde. Ma tasse de café aux lèvres, je la dévore des yeux et l'étudie.

J'aimerais savoir ce qui se passe dans sa tête. J'ose espérer qu'elle n'est pas encore attachée à moi, comme je le suis à elle.

Je ne veux pas lui faire du mal, et pourtant, en apercevant la Vénus l'autre matin, je me suis dit « pourquoi ne pas lui faire un cadeau en rapport avec le tableau ».

Quel con !

La connexion entre Rose et moi est indéniable, mais ça n'est pas ce que j'avais prévu. Avec ce cadeau, je lui ferai miroiter quelque chose qui n'arrivera jamais. C'est un geste égoïste, un truc de connard, mais comment résister à l'idée de son visage souriant lorsqu'elle ouvrira le petit sachet contenant son cadeau ? J'en culpabilise parfois quand je vois l'espoir luire dans ses yeux.

Elle sait, c'est sûr. Ou du moins elle se doute qu'elle compte pour moi. Elle a lu clairement à travers mon visage et les gestes que je n'ai pas su retenir.

La chute risque d'être douloureuse, pour elle comme pour moi. Pourtant, je me trouve incapable de mettre un terme à notre relation. Cette fille est ma faiblesse. Je ne veux pas qu'elle souffre, mais c'est plus fort que moi.

Un porte-clé à l'effigie de la Vénus, voilà son cadeau. Je l'ai acheté sur le site des musées de Paris. C'est une copie de seulement quelques centimètres, mais je me dis que c'est le geste qui compte. Nous n'avions pas convenu d'acheter des cadeaux, alors c'est déjà mieux que rien. Ou pire que tout...

Je ne devrais rien lui offrir. C'est un geste beaucoup trop symbolique : la première fois que je lui offre quelque chose (non, les fleurs pour son anniversaire ne comptent pas).

Fais chier !

Au moins, sans cadeau, elle n'aurait pas été déçue. Tout ce que je vais réussir par ce geste impulsif, c'est lui donner de l'espoir et des exigences. Et ces exigences, je ne pourrais certainement pas y répondre. Alors c'est là qu'elle sera déçue de moi, de notre relation, de tout.

J'ai beau me dire que je dois arrêter, ne pas m'attacher à elle plus que je lui suis déjà, ne pas la laisser s'attacher à moi, j'en suis tout bonnement incapable, et je crois que c'est déjà trop tard. Le mal est fait.

J'ai envie de la surprendre et de lui faire plaisir.

Je souhaite son bonheur.

J'aimerais lui offrir tout ce qu'elle souhaite.

Je voudrais combler ses désirs et réaliser tous ses fantasmes.

Mec t'es pathétique !

Côtoyer cette fille me rend incroyablement niais, putain ! Et impossible de faire marche arrière pour son cadeau puisque je lui en ai déjà parlé. Tout fier de moi comme un adolescent avec son premier crush, je me suis empressé d'envoyer un message à Rose la seconde même ou j'ai acheté le porte-clé. Maintenant, elle s'évertue à essayer de deviner ce que j'ai bien pu lui trouver pour Noël.

Noël.

Quelle fête de merde ! Nous ne l'avons jamais réellement célébrée, chez moi. Mes parents n'y voyaient pas d'intérêt. Et cette année, cette étape risque d'être bien plus difficile que d'habitude. Ma mère suit un traitement contre son cancer depuis quelques mois, ce qui me rassure énormément. Au début, elle refusait de se faire soigner. Têtue comme elle est, elle n'y voyait pas d'intérêt. Je me dois de préciser que ma mère souffre de dépression chronique, alors suivre un traitement pour rester en vie, quel intérêt ? Toucher la mort du bout des doigts tout en évitant les souffrances de la chimiothérapie, elle aurait adoré ça. Si je n'avais pas insisté, elle se serait sans doute laissée dépérir, parce qu'au fond, à quoi bon se battre ? Quand le traitement devient plus douloureux que la maladie elle-même, baisser les bras semble être une option alléchante. De la perte de ses cheveux aux nausées en passant par l'extrême fatigue, ma mère a subi tous les effets secondaires de sa chimio. Et chaque fois que je l'aperçois, le teint jaunâtre et les joues creusées, affalées dans son lit, je sais qu'elle préfèrerait en terminer. Ça saute aux yeux qu'elle n'en peut plus de cette vie qui la malmène. Pourtant, je continue à espérer, égoïstement, qu'elle se battra pour rester, qu'elle se battra pour moi, pour ne pas me laisser seul. Parce qu'en ce moment, je sens le vide se rapprocher. Il me guette et me menace, et sans ma mère, je risque de me faire engloutir par lui.

BrutalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant