Chapitre 21

103 17 6
                                    

— Vous avez fait quoi ?! s'offusque Laeticia, ahurie.

— Tu veux pas un mégaphone, tant que t'y es ? Histoire que tout le lycée soit au courant plus vite.

— Meuf, je suis désolée, j'aimerais vraiment le prendre mieux que ça mais y a pas à dire : tu t'es fait avoir.

— Merci d'être aussi directe...

Elle se redresse et pose une main se voulant compatissante sur mon bras.

— Kelly, personne n'ignore dans ce lycée qu'Efua est un prédateur. Et toi ma pauvre, tu es une proie de plus qu'il n'a pas loupée.

— C'est juste arrivé comme ça... Crois-moi si je te dis qu'il n'avait rien prévu.

— Mais c'est exactement comme ça que ceux de son espèce opèrent ! Ils profitent de ta vulnérabilité dans un moment de faiblesse en te faisant croire que leur tactique est inoffensive. Je sais que tu comprends ce que je te dis, tu es moins naïve que ça.

— Oui, et bien, « prédateur » ou pas, lui au moins il m'a soutenue.

Elle pousse un cri d'indignation.

— Alors là, Kelly, je ne peux pas te laisser faire une telle insinuation. Je t'ai littéralement harcelée tous les jours pour avoir des nouvelles ; ce n'est pas ma faute si tu étais trop occupée à vivre ta romance pour le remarquer et daigner me répondre.

Je garde le silence, résignée.
J'aime Laeticia, et j'admire sa franchise mais je pense sincèrement qu'elle pourrait parfois faire preuve d'un peu plus de tact. Heureusement, je suis habituée à sa grande gueule et je suis moins susceptible que la plupart des gens ; elle, supporte également pas mal mon caractère "madame je sais tout" et ma têtutesse exacerbante. Autant dire que notre amitié toxique nous convient.

La sirène retentit. Il est temps de retourner en classe. Accepter une fois de plus les regards pitoyeux et les bouches compatissantes. Sourire aux « assia » et remercier les « courage ». Seulement une demie journée que ça dure et j'en ai déjà marre.

J'arrive à peine à regarder mon professeur de philosophie sans culpabiliser du fait qu'il m'ait mis un douze sur vingt à la dernière évaluation alors que j'ai rendu une copie vierge. Le plus surprenant, c'est que maman n'était même pas encore hospitalisée lorsque j'ai fait cette bêtise, alors je ne comprends pas pourquoi cette faveur.

— La conscience est avant tout une conscience de soi : c'est la condition nécessaire de toute morale. Avoir conscience de soi c'est être lucide par rapport à ses actes et leurs conséquences.

Zeinabou Pamela et Ewane Christian, un duo de comiques assis au fond de la classe, attirent l'attention de monsieur Ondoa qui s'arrête de parler lorsqu'il les entend rigoler. Tout le monde se tourne pour les regarder, les yeux chargés de jugement. L'enseignant se racle la gorge avant de poursuivre :

— Retenez une chose, c'est que l'œil qui se tient à distance et qui se regarde en train de vivre, c'est la conscience.

À la fin de son cours, avec l'intention de demander des explications, je me précipite après lui :

— S'il vous plaît, monsieur ?

Il se retourne, stoppé dans son élan :

— Oui ? Samba, tout va bien ?

— Euh... Je...

Manquant finalement de courage et peut-être de réelle volonté, je me désiste et acquiesce frénétiquement en souriant.

— Je voulais juste vous remercier, de ne pas avoir été dur pour le contrôle...

Il me sourit en retour, hoche la tête et arrange le béret recouvrant une bonne partie de ses cheveux fraîchement parsemés de gris. Puis s'en va. Au même moment, je remarque du mouvement au bâtiment d'en face : celui de l'administration du lycée. Une foule d'élèves curieux déjà surplace m'empêche de voir exactement ce qui s'y passe. Rapidement, ceux de ma classe se ruent en vague à l'extérieur pour observer la scène, certains — dont Laeticia et Ismaël — se dirigent carrément vers l'endroit. Je les suis. C'est une bousculade totale. Des élèves sortent et surgissent de toutes parts, à l'affût du scoop.

Le roman de Kelly Où les histoires vivent. Découvrez maintenant