Chapitre 22

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Il paraît que ça fait environ deux ans que Monsieur Dingué s'en prend aux filles du lycée. Sa tactique est toujours la même : il fait des observations sur la non conformité de leur uniforme, fait semblant de les blâmer, les convoque dans son bureau, essaye de les caresser et si elles résistent, devient violent.

Il paraît que ça fait des mois qu'il harcèle Marine Bengo parce qu'elle refuse de se soumettre à ses magouilles. Il a commencé par la traiter de pute, ce qui la touchait car elle s'imaginait qu'il avait peut-être raison : c'est vrai, il n'était pas le seul homme à la traiter de telle ; d'ailleurs, même les filles ne s'en privaient point. Alors oui, elle pensait qu'elle méritait probablement ces injures. Ensuite est venu le temps des menaces : « Ça ne me coûterait rien de ruiner ton année dans ce lycée », « Continue de me tenir tête et ton bac en payera le prix »... Puis le moment de passer à l'acte : « Dans mon bureau tout de suite, il y en a marre que vous preniez cet établissement pour une maison close ! »

Malheureusement pour lui, Marine n'est pas l'une de ces filles qui n'ont pas le choix car la vie leur en laisse très peu. Heureusement pour nous, son alcoolisme et sa très pitoyable attitude l'ont poussé à exposer ses actes aux yeux de tous. L'administration du lycée n'a donc pas eu de mal à croire les élèves qui ont témoigné contre lui, suite aux révélations de Marine Bengo. Laeticia faisait partie de ces élèves.

Comment ai-je pu ne pas m'en rendre compte ? C'était pourtant évident.

Mon amie n'a pas tenu à me détailler l'histoire. Elle a même essayé de me rassurer :

— Il ne m'a pas violée, du calme...

Ok mais je crois quand même que, acte sexuel ou pas, le seul fait d'user du corps d'une personne — qui plus est mineure — sans son consentement, est un abus. Qui peut traumatiser. Qui peut hanter. Qui peut bouleverser. Un acte tout aussi condamnable et punissable. Les caresses, les tripotages, les injures, et même les regards ! Rien n'est anodin si de par son caractère pervers, il arrive à s'immiscer dans l'esprit de la personne qui subit, et lui susurrer à longueur de temps qu'elle le mérite.

*

Assise sur le banc maintenant habitué de moi dans le couloir du service de réanimation, je fixe mes sandales en caoutchouc beige. Je les imagine flottant sur une rivière limpide qui coule mélodieusement, au milieu d'une prairie.
Je lève la tête en entendant ma tante froisser du plastique. Elle me tend la moitié de sa barre chocolatée. William vient d'aller aux toilettes. Dehors, il pleut des cordes. Cela me donne envie de me coucher, bien au chaud sous ma couette qui sent le coton propre.

L'hôpital semble endormi en cette après-midi maussade. On n'entend aucun bruit sauf celui des crocs des infirmiers qui vont d'une salle à une autre. Les goutes d'eau produisent un bruit de cascade violente au-dessus de nos têtes. Je savoure ce qu'il reste de chocolat entre mes doigts lorsqu'apparaît le médecin en charge de maman. Angélique se hâte vers lui avant qu'il n'ait eu le temps d'arriver jusqu'à nous. Je retiens mon souffle. Leur échange me paraît durer trois heures, mais je n'ose pas bouger pour aller écouter, absolument terrorisée.

Angélique revient sans cacher son allégresse, en même temps que William surgit du couloir qui mène aux sanitaires. Mon cœur, mon cerveau, mon système nerveux, tout se remet alors à fonctionner. Et pendant que mes yeux s'emplissent déjà de larmes de joie, ma tante explique tout aussi émue :

— Ses signes vitaux se sont stabilisés et sa température corporelle est remontée. Le docteur dit que dans le cas le plus favorable, un retour à la conscience est envisageable dans deux ou trois jours.

Le roman de Kelly Où les histoires vivent. Découvrez maintenant