Chapitre 28

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En début de soirée, nous nous retrouvons tous assis à la même table. À ma gauche, Lévy, Guy et Ludovic. À ma droite, Marine, Xavier et Arnold. Et juste en face de moi, Jorrah ou Sardan, je sais pas. En tout cas, depuis une trentaine de minutes, Jordan et Sarah ne font qu'un, sous mes yeux injectés de haine ; elle assise sur lui, lui la tenant parfois par la taille, parfois par les bras, parfois par le dos... Ils s'embrassent, se chatouillent, se caressent, se disent des mots doux.

Mon pied droit ne cesse de frapper frénétiquement contre la terre, si bien que je m'en rends à peine compte. Je ne peux non plus m'empêcher de mordiller nerveusement ma lèvre inférieure, essayant tant bien que mal de dissimuler la brûlure intérieure et le malaise que j'éprouve. Mais Jordan, lui, s'en aperçoit très bien. Il sait ce qu'il fait, et pourquoi il le fait. Quel gamin !

— Vous savez que si vous allez dans ta chambre on ne vous en voudra pas, hein ? taquine Marine.

— On le sait, t'inquiète. Mais pour l'instant on est aussi bien, là, affichant notre amour au vu et au su de tous.

Il chatouille Sarah sur le ventre, satisfait de son numéro digne d'une nomination aux Oscars —notez l'ironie — et elle couine ostensiblement.
OK. Il veut jouer à ça ? On va jouer.

— Dis-moi, Lévy, on n'a pas terminé notre conversation de tout à l'heure, il me semble.

Le jeune homme affiche un air interloqué, lui qui a sûrement dû comprendre que je voulais me dérober.

— Oui, c'est vrai. J'ai d'ailleurs trouvé très étrange que tu t'éclipses comme tu l'as fait. On aurait dit que tu me fuyais.

— Quoi ? Moi, te fuir ? Non mais tu t'es regardé ? Aucune fille ne voudrait courir loin de toi, mon cher !

Et ma voix part dans les aigus, et j'amplifie ses qualités, et j'en invente des que lui-même ignore, et je rigole à tout va, il suffit qu'il ouvre la bouche. Et je suis convaincue de convaincre les autres — surtout Jordan.

— Tu sais, la vérité c'est que je t'ai moi-même directement trouvé très attirant lorsque je t'ai vu. Seulement, je suis de nature très timide...

Une toux aussi soudaine que manifestement délibérée et provoquée dans le seul but de me nuir se fait entendre, m'interrompant crûment. Je jette un regard noir à Jordan, qui n'en est autre que l'auteur, avant de me re concentrer sur Lévy.

— Je disais... Que ma timidité m'empêche très souvent de réaliser certaines de mes envies.

— Des envies comme ? demande mon interlocuteur de façon rhétorique.

— Comme te parler, l'autre fois, chez vous.

— Ok, souffle Xavier, vu qu'il y en a qui se draguent et d'autres qui se galochent, autant laisser libre cours à tout le monde, non ?

Il étend son bras autour des épaules de Marine, celle-ci n'attend pas qu'il termine sa manœuvre pour lui donner une tape sévère, ce qui le stoppe direct. Les autres garçons se moquent.

— Qu'est-ce que tu fous ? interroge Lévy sur un ton subitement sérieux.

— Détends toi grand, tempère Xavier, ça fait partie de nos plaisanteries habituelles.

— C'est vrai, ça ? s'étonne le jeune homme en lançant à sa sœur un regard inquisiteur.

— Ce n'est rien, le rassure Marine, arrête de faire ton protecteur relou.

— J'essaye juste de m'assurer que tu reçois le respect que tu mérites.

— Seulement parce qu'il s'agit de ta petite sœur ? intervient brusquement Jordan.

Le roman de Kelly Où les histoires vivent. Découvrez maintenant