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Arrivé chez lui, il retira son écharpe et son manteau, puis les lança sur sa chaise à bordel. Cette chaise qui ressemblait à un monstre difforme la nuit. Ensuite, il se déshabilla. Il vérifia quand même qu'il avait bien fermé sa porte à clé. Ça lui était déjà arrivé. De laisser sa porte ouverte. Il s'en souviendrait toujours, d'ailleurs. Cette fois-là, en sortant de sa douche, il avait retrouvé le petit voisin du troisième sur son canapé, en train de dormir. Depuis, il vérifiait toujours sa porte. Il aimait recevoir, préparer des petits plats pour ses invités, passer une bonne soirée à rigoler et parler jusqu'à pas d'heure. Il aimait cela seulement quand il avait bien invité la personne. Se retrouver avec un enfant dormant sur son canapé et la mère qui venait le chercher à bout de souffle n'était pas ce qu'il qualifié d'une « bonne soirée ».

Adam regarda l'heure et vit qu'il n'était qu'une heure du matin. Il s'était imaginé être resté tellement longtemps dehors que le froid l'avait gelé, immobilisé dans le temps. Il fila sous la douche et laissa l'eau chaude, presque brûlante, couler sur lui. Son corps devint petit à petit rouge. Il n'en souffrait pas, pourtant. Adam appréciait ces brûlures. C'était une façon de se sentir vivant. S'il ressentait la douleur, alors il était encore de ce monde. Ça le rassurait de penser à cela. C'était un peu glauque, mais ça le rassurait. En sortant, il n'avait qu'une serviette autour de la taille. Le temps de décembre ne lui faisait rien. Ce n'était pas le froid qui allait l'atteindre. Adam ne sentait plus rien. Il ne sentait pas le froid. Quasiment jamais, il avait même très chaud. Il étouffait. Là, dans son appartement, il mourait de chaud. Autre preuve de son décalage avec le monde.

Il s'installa sur son canapé brun, il s'enflamma une autre cigarette et alluma la télévision. Il la regardait sans goût, elle aussi. Il ne la regardait même plus. Il ne l'allumait que pour meubler le silence de son appartement et pour ne pas se sentir trop seul. Le bruit de la télévision meublait ses pensées, ses inquiétudes, ses doutes. Il s'allongea et ses jambes, trop longues pour son canapé deux places, dépassaient. Son bras lui soutenait la tête. Il en avait besoin, sa tête était trop lourde. À force de trop penser, il n'y avait plus de place à la légèreté. Sa tête était comme un poids qu'il devait traîner partout où il allait. De sa main encore libre, il tenait sa cigarette. Il fumait aussi sans goût. Il fumait pour combler son temps, pour brûler ses pensées, pour brûler ses poumons. Il fumait pour s'occuper, pour s'alimenter. Ce n'était pas très sain, mais ça l'empêchait de faire de vraies conneries. Alors, il continuait. Parce que s'il ne continuait pas, il replongerait. Il ferait une crise. C'était mieux de se cramer de l'intérieur. Il se calmait comme ça. Le cancer du poumon l'attendait de pieds fermes, mais pas le désespoir, enfin, pas ce soir.

La sonnerie trop forte de son téléphone le coupa de sa rêverie. Il enleva son bras de sous sa tête, se pencha en avant et prit son téléphone. Il lut « Lila ». Il glissa lentement son pouce jusqu'aux icônes rouge et verte. Il prit trop de temps, l'appel s'interrompit. Si elle a besoin, elle rappellera, pensa-t-il. Alors qu'il se penchait à nouveau pour poser son téléphone sur la table basse de son salon, un message s'afficha. « Ouvre, je suis en bas. », s'inscrivit sur l'écran. Il écrasa sa cigarette dans une soucoupe qui traînait là, celle de son café du matin, toujours plein, mais désormais froid. Il se leva, tenant toujours sa serviette autour de la taille. Adam s'approcha de l'interphone et appuya sur un des boutons pour ouvrir la porte. Il fit demi-tour et reprit sa position initiale.

Il cala une nouvelle cigarette entre ses lèvres. Adam Rosier n'était pas accro, non. C'était principalement ce qu'il essayait de faire croire. Il essayait surtout de se convaincre lui-même. Il n'était pas addict, il passait son temps. C'était tout. Cela demeurait la seule façon qu'il avait trouvée d'amener un peu de chaleur dans sa vie, de rallumer ce feu dans sa poitrine, de donner la dernière flambée à son brasier. Il gardait la cigarette dans sa bouche sans l'allumer. Il n'en avait plus la force, ni l'envie, à vrai dire. Il la laissa pendre à ses lèvres comme un accessoire dont il était difficile de se défaire, une sorte de prolongement de lui-même.

Mort Ce SoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant