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Adam Rosier entra dans son appartement. Il referma la porte derrière lui, puis se jeta sur son canapé brun. Il se sentit rapidement vide. Vide de sens, d'émotions, de sentiments... Juste vide. Il était là, juste là, assis. Trop occupé à fixer l'écran de sa télévision face à lui, éteinte, elle aussi. N'ayant pas la force de se déshabiller, il restait là, son écharpe toujours autour du cou et son bonnet toujours vissé sur son crâne. Il ouvrit cependant la fermeture éclair de son manteau. Seule la lampe à côté de son canapé illuminait la pièce. Parfois, elle clignotait, et Adam la regardait, espérant secrètement qu'elle ne grille pas.

Adam resta assis en tailleur un très long moment, toujours vêtu de ses vêtements d'extérieurs. Il ne réagissait presque pas et ne faisant aucun mouvement. Adam était déconnecté du monde, de lui-même, de tout ce qui l'entourait. Tellement dans son monde qu'il ne bougea pas quand Lila entra dans son appartement et qu'elle déposa le double des clés dans le vide-poche à l'entrée. Lila s'avança dans l'appartement et posa son manteau sur un des accoudoirs du canapé brun. Adam ne bougea toujours pas lorsqu'elle le prit dans ses bras, lorsqu'elle lui embrassa la joue, lorsqu'elle se mit à lui caresser doucement le dos comme elle savait si bien le faire. Adam prit la main de Lila et en embrassa le dos.

— Papa m'a appelé, il m'a dit que tu ne te sentais pas bien et qu'il avait préféré te renvoyer chez toi, murmura-t-elle en posant son front contre celui d'Adam.

Il enveloppa Lila de ses bras et ne put s'empêcher de fondre en larmes, trop-plein de larmes se déversant en torrent. D'abord, il sanglota, puis, avec les caresses de Lila dans son dos, il se calma, ne pleurant plus qu'en silence. Lila resserra sa prise autour de lui, et lui, se laissa faire. La seule chose dont il avait besoin était d'avoir sa belle Lila à ses côtés, d'être dans ses bras et de ne jamais la lâcher. Jamais, sous aucun prétexte.

— Guillaume ne peut vraiment rien garder pour lui, bafouilla-t-il.

Lila se pressa plus fort contre lui, elle était plus proche. Définitivement plus proche. Alors qu'Adam essuyait ses larmes de sa main, Lila le regardait. Elle s'éclaircit la gorge et Adam baissa les yeux vers sa copine.

— Est-ce que ça a recommencé ?

Les yeux d'Adam se remplirent à nouveau de larmes. Lila lui caressa les joues, capturant chacune de ses larmes avec ses doigts. Désormais, Adam sanglotait. Chaque seconde, de plus en plus fort. C'était incontrôlable, contre sa volonté. Lila continua à lui caresser le dos tout en lui murmurant qu'elle était là et qu'elle le serait toujours, il ne lui arriverait rien, car elle était là, prête à veiller sur lui. Il n'avait plus à s'inquiéter de quoi que ce soit, il n'était plus tout seul. Il n'avait plus à garder tout ça en lui. Lila était là pour l'écouter.

La vérité derrière ce chagrin était qu'Adam se dégoûtait plus que d'habitude. Il savait que le regard que Lila lui portait allait changer. Il savait et s'imaginait qu'elle ne le verrait que comme une petite chose fragile qu'il fallait absolument protéger. Il était cette porcelaine qu'on utilisait avec grand soin pour éviter de la casser. C'était toujours comme ça. Dès que l'on prend connaissance de la santé mentale de quelqu'un, et que celle-ci ne va pas bien, on ne la voit que comme une chose fragile qu'il ne faudrait pas craqueler. On fait attention à ce qu'on dit, on prend des pincettes même pour le strict minimum, et on ne dit pas le « mot interdit ». À croire que parler de « dépression » allait l'invoquer.

S'avouer qu'il n'allait pas bien était une chose. Il l'acceptait, d'ailleurs. Il se regardait dans le miroir chaque matin, voyait le reflet d'un homme qui n'allait pas bien et l'acceptait. L'information lui était même banale. « Ok, je ne vais pas bien, et donc ? », se disait-il. Jusque-là, il ne pouvait rien y changer, alors, autant accepter cette fatalité, demain serait un autre jour, il irait peut-être mieux. Se l'avouer était une chose, mais l'avouer à Lila ? La regarder droit dans les yeux et lui dire qu'il n'allait pas bien, c'était au-dessus de ses forces. Il ne pouvait pas accepter qu'elle pose sur lui un regard plein de pitié, plein de réconfort. Il n'était pas en sucre, bon sang ! Il n'avait juste pas le moral.

Lila avait connaissance du « problème » d'Adam. Cela faisait deux ans qu'elle savait pour son hyperphagie et elle savait aussi qu'à tout moment, le « souci » pouvait refaire surface. Elle le sut un jour où elle se rendit compte qu'Adam était plus froid que d'habitude. Il ne répondait pas à ses appels, et quand il le faisait, il expédiait rapidement la conversation. Il n'avait jamais le temps de lui parler, ne voulait plus sortir. La seule raison valable a laquelle Lila pensa fut la tromperie. Elle en était persuadée et Bon Dieu, elle allait lui faire regretter. Elle était arrivée chez lui à l'improviste, énervée. Elle frappa à la porte, espérant que celle-ci soit le visage d'Adam, puis se rappela qu'elle avait le double des clés et ouvrit. C'était le moment de faire payer à Adam sa tromperie. Elle entra, toujours autant énervée, l'engueulant pour ses péchés, le maudissant.

— J'espère que ma remplaçante est plus...

Lila ne termina jamais sa phrase, suspendue dans le temps. Elle le vit assis à même le sol dans sa cuisine, entouré d'emballages en tous genres. Il était là, avec une cuillère de pâte à tartiner dans la bouche et un pot de glace presque terminé dans les mains. Il ne restait plus rien des paquets de biscuits éparpillés sur le sol. Adam était plus cerné que d'habitude, et plus pâle. Quand il réalisa la présence de Lila, Adam se figea. Il se mit à trembler de tout son corps et Lila s'approcha. Elle se sentit bête et coupable. Comment avait-elle pu penser que ce garçon aurait pu la tromper ? Adam recula lorsqu'elle s'approcha. Lila s'agenouilla, lentement, doucement, comme si elle avait peur que, si elle était trop brusque, il s'enfuirait. Elle se pencha devant lui. Elle regrettait d'avoir douté de lui.

Adam, lui, était mort de honte. Il n'osait la regarder dans les yeux. « Je la dégoûte, je le sens », se blâma-t-il. Lila, toujours avec cette délicatesse qui lui était propre, lui prit le pot de glace. Chacun de ses gestes était effectué avec douceur, lenteur et calme. Tout était calculé pour ne pas le brusquer. Adam se laissa faire, regardant silencieusement les gestes de sa copine. Lila posa le pot tandis qu'Adam déposa la cuillère et mangea la pâte à tartiner, difficilement. Lila observait Adam et, lorsqu'il osa enfin la regarder, elle le prit dans ses bras.

— Ne t'en fais pas, je suis là, murmura-t-elle à son oreille.

Adam s'avança pour mieux l'étreindre. L'avoir dans ses bras était meilleur qu'un milliard de câlins d'ours en peluche réunis. Lila avait tellement peur de le brusquer, de l'éloigner, qu'elle continuait à prodiguer ses caresses avec lenteur. Comme si elle essayait doucement de le faire revenir à la réalité. Elle avait peur qu'il s'en aille, qu'il ne revienne pas. Elle se redressa et, tendant ses mains vers Adam, l'aida à se lever. Elle le tenait d'un bras autour de sa taille pour éviter qu'il ne trébuche. Chacun de ses pas était sécurisé par Lila. Elle l'emmena dans la salle de bain où elle l'aida d'abord à s'asseoir sur les toilettes. Adam observait ses faits et geste sans produire de son, de syllabe, de mot, de phrase. Il n'y arrivait pas. Physiquement, il était incapable de parler. Sorte de cadenas posé aux lèvres. Cadenas dont il avait malencontreusement perdu la clé, dont il ne voulait pas retrouver la clé.

Lila s'approcha de lui, un gant de toilette à la main. Elle passa sa main libre derrière la nuque, lui tenant délicatement la tête. De l'autre main, elle lui essuya la bouche. Adam sentit une larme solitaire rouler sur sa joue, larme rebelle, incontrôlable. Perle salée traduisant sa peine, sa honte. Il se sentait d'ailleurs toujours honteux lors de ses crises d'hyperphagie, mais là, devant Lila, c'était infiniment pire. Il se sentait faible. Que Lila Martin le voit dans cet état était pire que toutes les crises qu'il avait eues jusque-là, réunies en une seule. Rien ne serait jamais aussi intense qu'une crise devant sa Lila.

Pendant que la baignoire se remplissait d'eau, Lila aida Adam à se déshabiller. Il n'avait même plus la force de se tenir debout. Toute l'énergie mise dans sa crise l'avait épuisée. Lila le porta jusqu'à son bain. Une fois dedans, Adam plongea ses mains dans l'eau et se rinça le visage. De son visage trempé, il dissimula ses larmes. Lila s'assit sur le carrelage froid de la salle de bain, face à Adam, maintenant une certaine distance avec lui. Il avait le bras posé sur le rebord de la baignoire et Lila lui caressait le bras, doucement, lentement.

— Merci, mon amour, murmura-t-il dans le silence du moment.

Le léger sourire qui ornait le visage de Lila répondit à sa place. « Je suis là, je ne te laisse pas », disait-elle de son sourire. Adam osa enfin la regarder. Ils ne se parlaient pas, mais communiquaient à travers leurs regards. Il se sentait toujours aussi honteux, mais la main de Lila sur sa joue le rassura. 

Mort Ce SoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant