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Adam se traîna difficilement jusqu'à la salle de bain. La première chose qu'il fit fut de se regarder dans le miroir, au-dessus de son lavabo. Il s'inspecta. Ses cernes se faisaient de plus en plus marquées et il avait le teint terne. Il se préparait avec le peu de force qui lui restait. Il sortit de la salle de bain de longues minutes plus tard, prit un sac à dos et le remplit de ses affaires. Juste avant de partir, il vérifia que rien d'anormal n'était branché. Manquerait plus que je ne crame la baraque, se disait-il à chaque fois.

Adam sortit et, comme s'il avait donné l'alerte, sa voisine Armande sortit de chez elle à son tour. Il la trouvait assez sympathique, bien que beaucoup trop bavarde. Armande était le genre de voisine qui, dès qu'elle vous apercevait, ne pouvait s'empêcher de vous raconter sa vie pendant des heures. Alors, comme à son habitude, Armande lui racontait les ragots de l'immeuble et Adam l'écoutait avec le peu d'attention qu'il pouvait lui fournir. Il ne s'en moquait pas complètement, non, mais Armande avait la fâcheuse habitude de radoter, de toujours raconter la même histoire. Elle lui racontait tout de tout le monde, l'énième dispute des voisins du quatrième, l'immense colis reçu par la voisine du sixième, le concierge qui s'était fait recaler par le monsieur du premier... Adam était convaincu que cette femme souffrait d'alzheimer. Ou alors elle avait tellement à raconter qu'elle oubliait à qui elle le racontait.

Le jeune homme sortit de son immeuble une vingtaine de minutes plus tard. Il enfila ses écouteurs et marcha le long de la rue, saluant ici et là les passants. Il s'arrêta sur le Pont des Anges et s'alluma une cigarette. Il aimait beaucoup cet endroit, il aimait se poser et entendre les bruits de la ville. Il aimait voir l'eau, particulièrement la nuit, où les lumières de la ville s'y reflétaient. Il aimait ces moments de solitude où la seule chose qu'il avait à faire était d'observer la beauté du monde. Il finit sa cigarette et l'écrasa à côté des deux trous noirs qu'il avait laissés quelques jours auparavant. Cela ressemblait un peu à une traînée d'étoiles dans laquelle il aurait adoré voir les nuances, où il aurait aimé plonger, se perdre et vagabonder.

Ce jour-là, Adam devait se rendre plus tôt au « Clémence ». Il y passa une bonne partie de sa journée à faire l'inventaire. Réceptionner les produits, vérifier leur fraîcheur pour le service du soir et des jours à venir, commencer le rangement... Il détestait les journées inventaire. Elles lui faisaient perdre son temps.

Il partit aux alentours de quinze heures trente. Sur le chemin, il repensa au « différend » qu'il avait eu avec Lila, quelques jours plus tôt, le 22 décembre. Ils avaient laissé ça de côté ; ils n'allaient pas inquiéter la famille de Lila pour rien. Ce n'était qu'un léger désaccord, pas de quoi en faire un drame. Ils avaient réglé ça le lendemain, mais Adam ne put s'empêcher de penser à la façon dont il avait parlé à Lila et se sentit coupable. Lila savait pour l'état mental d'Adam, il lui avait d'ailleurs reproché de toujours être sur son dos, de toujours s'inquiéter pour rien et pour tout. Il lui avait assuré qu'il gérait. Mais Lila restait. Elle était toujours là pour le soutenir, toujours présente à chacune de ses difficultés, constamment fière de lui. Elle lui rappelait très souvent qu'il en valait la peine et que penser le contraire ne lui rendrait jamais service.

Adam se demandait si elle savait qu'il était reconnaissant de l'avoir dans sa vie, si elle savait qu'elle était toute sa vie et qu'il donnerait sa vie pour la sienne. Le savait-elle ? Savait-elle qu'il l'aimait, qu'il ne pouvait pas imaginer sa vie sans elle ? Ce différend n'était rien de bien grave, mais Adam ne pouvait s'empêcher de penser que tout était fini, que plus rien ne serait comme avant. Lila l'avait rassuré. Rien ne changerait et que des petites disputes arrivaient dans tous les couples.

Il ne pouvait pas se le cacher, les paroles de son oncle avaient touché un point sensible chez lui. Adam n'avait pas confiance en lui. Pas du tout, même. Et entendre ce genre de chose sur lui-même ne faisait que renforcer son idée qu'il n'était qu'un « bon à rien ». Adam mentirait s'il disait qu'il n'avait pas de doutes sur sa relation. Pas qu'il n'aime pas Lila, bien au contraire. Il l'aimait tellement qu'il ne comprenait pas pourquoi elle l'aimait. Elle pourrait trouver tellement mieux, se répétait-il constamment. C'était comme cela. Il était arrivé au stade où, s'il doutait de lui, alors les autres aussi, douteraient de lui. Et ils auraient des raisons valables. Parce qu'au final, Adam n'était que « Adam », il n'était pas quelqu'un d'important. Du moins, c'était ce dont il était persuadé.

Mort Ce SoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant