9

17 2 0
                                    

Adam avait rencontré Lila six ans auparavant. Ou sept ans, peut-être. Six ans ? Sept ans ? Non, huit ans, se souvint Adam. Les deux jeunes gens s'étaient rencontré grâce à leur ami en commun, Tao. La rentrée aux études supérieures venait de commencer et Tao ressentait le manque de ses amitiés passées. Une sorte de nostalgie qui lui collait à la peau, qui le démangeait, le brûlait. Tao avait eu la bonne idée d'organiser une petite soirée dans son studio étudiant quelques semaines plus tard.

Tao Gauthier, né d'un père français et d'une mère japonaise, avait commencé des études en informatique en septembre 2015. Tao adorait ce qu'il faisait, ça le passionnait énormément. Il adorait cette nouvelle vie dans les études supérieures. Il se sentait enfin adulte. Plus contraint de devoir écouter père et mère à longueur de journée. La seule pilule que Tao avait du mal à avaler était la vague de nouvelles personnes. Il ne supportait pas les personnes de son option. Il se sentait de trop, pas assez «comme les autres » et trop « lui ». Son orientation sexuelle ne l'aidait pas vraiment à s'intégrer. Dès qu'on l'apprenait, on fuyait Tao comme la peste. Nul doute, Tao était content que les pensées envers l'homosexualité aient évoluées. Tao ne s'intégrait pas. Et il regrettait amèrement les années passées dans son lycée niçois.

Lors de la première semaine de cours, Tao appelait Adam tous les soirs. Et, quand il entendait la voix de son meilleur ami, les larmes se formaient aux coins de ses yeux. Adam lui manquait. Son meilleur et seul ami lui manquait. Il ne se passait pas une soirée sans que Tao ne raconte à Adam à quel point les personnes de sa fac étaient chiantes à mourir. Adam l'écoutait sourire aux lèvres, sans manquer d'essuyer ses propres larmes. Tao Gauthier et Adam Rosier ne s'étaient jamais identifiés à quelqu'un comme ils s'identifiaient l'un à l'autre. Les jeunes hommes étaient les deux parties nécessaires à un tout. Ils étaient frères ou presque.

Adam avait intégré une école de cuisine à Nice. Après de longues semaines à attendre les résultats du concours d'admission, la réponse tomba : Adam était pris. Son rêve allait devenir réalité. Il l'avait fait, il y était parvenu, après des semaines et des semaines de travail. Il était tellement impatient à l'idée d'y apprendre mille et une techniques en cuisine et en pâtisserie. Il s'impatientait à l'idée de découvrir les cuisines du monde, les cuisines des plus grands chefs, et de pouvoir composer lui-même ses cartes, ses desserts. Adam ne s'était pas attendu à être rejeté par les autres étudiants. Malgré ses nombreuses prouesses culinaires, il n'a jamais su se faire une place. À croire que son métissage prenait trop de place, qu'il dérangeait. Il avait essuyé des remarques racistes. Heureusement pour lui, Thelma, sa mère, lui apprit à ne pas prendre personnellement ce genre de remarques. Ça lui passait au-dessus.

Adam était le premier de sa promotion, le meilleur dans chaque cours, chaque technique. Il était entouré de « bourges » qui ne pouvaient accepter que l'« étranger » ait plus de succès, bien qu'Adam soit, comme eux, né en France. Il venait d'une famille modeste qui avait économisé autant que possible pour qu'il puisse partir en Erasmus. Malgré ses talents, son travail, sa persévérance, il restait le paria de son école.

Lorsqu'Adam arriva au Royaume-Uni, il y découvrit un monde culinaire tellement diversifié qu'il ne savait plus où donner de la tête. Le voilà, ce fameux rêve, devenu réalité. Il s'était réalisé en dehors de Nice. Tout ce qu'il avait pu imaginer s'était réalisé en dehors de son pays. Qui l'aurait cru ? Pas Adam, ça c'est certain.

La soirée qu'organisait Tao était le moment parfait pour se revoir. Le moment idéal pour revoir son frère. C'était comme ça qu'ils se voyaient, comme des frères. Celui qu'ils n'avaient jamais eu, celui tombé du ciel à la rentrée du lycée, celui sur qui ils pourraient compter jusqu'à la fin des temps. Adam était arrivé à la soirée avec une bonne demi-heure de retard. Il se sentit coupable de ne pas être arrivé plus tôt pour aider Tao à tout organiser. Et, pour compenser son retard, il apporta un sac rempli d'alcool. Toutes ses petites économies y étaient passées. Rien n'était jamais trop pour Tao.

Mort Ce SoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant