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Lila avait passé la nuit chez Adam. Alors qu'elle dormait collée à lui, Adam ne trouvait pas le sommeil. Il était resté allongé, la main sur l'épaule de Lila, la maintenant contre son propre corps, les yeux vissés sur le plafond blanc. Il ne savait pas si Lila était celle qui recherchait du réconfort ou celle qui en apportait. Lorsqu'elle se leva, le lendemain à sept heures trente, Adam resta au lit. Il entendait Lila se préparer au loin, pour partir travailler, pour démarrer sa journée comme toute personne saine d'esprit. Il n'avait pas la force de se lever, d'affronter une nouvelle journée.

Il resta au lit longtemps, même alors qu'il entendit les clés refermant la porte. Il se tourna sur le côté, repensa à leur soirée, à ce qu'elle avait fait pour lui. Adam se dit qu'il ne la méritait pas, qu'elle était beaucoup trop bien pour un type comme lui. Il avait attendu bien longtemps qu'elle parte avant d'émerger de son lit. La honte lui collait tellement à la peau qu'il n'osait pas la croiser. Elle verrait ce nuage de honte derrière lui et se dirait que ce garçon n'avait rien pour lui, qu'elle trouverait mieux ailleurs. La veille, ils ne s'étaient pas vraiment parlé. Ils avaient échangé, oui, mais en silence. À coup de regard et de geste timide. Aucun mot n'avait été prononcé, aucune syllabe, aucune onomatopée.

Adam se rendit dans la cuisine. En général, il s'allumait une cigarette sur le balcon pour bien débuter la journée. Ce jour-là, il n'en avait pas envie. Ce jour-là, il voulait faire les choses bien. Alors, il prit son téléphone et chercha « recette petit déjeuner saine ». Il voulait faire les choses bien, il l'avait promis à Lila. Enfin, pas vraiment à Lila. Il ne l'avait pas formulé à haute voix, mais se l'était promis quand il la vit dormir, sa tête brune reposant sur ses jambes. Quand elle dormait, Adam n'osait jamais la regarder trop longtemps de peur de la réveiller avec ses regards indiscrets.

Adam chercha longtemps une recette qui aurait pu lui plaire. Quand il la trouva, il se dirigea déterminé jusqu'à son frigo et y trouva, accroché à la porte, un mot signé de sa douce. Il décolla le post-it, sourire étirant ses lèvres charnues. Alors qu'il lisait lentement le papier, Adam se décomposa. Lila y avait annoté une série de numéros appartenant à des psychologues, dont un spécialisé dans les troubles du comportement alimentaires. Il se figea, sentant doucement la colère prendre le contrôle de son corps. Comment pouvait-elle lui proposer cela ? Il n'était pas prêt à refaire confiance à un psychologue et elle le savait. Il faisait confiance à Lila, pourquoi vouloir tout gâcher ? Il lui avait exposé toute sa vulnérabilité deux ans auparavant, et elle... Elle le jetait dans la gueule du loup. Adam lui avait explicitement dit qu'il n'y retournerait pas, qu'il s'en sortirait tout seul, qu'il s'était toujours débrouillé seul et qu'il continuerait de le faire. Elle savait que sa dernière expérience avec un psychologue ne l'avait mené à rien de concret. Elle le savait. Lorsqu'il y allait, son état se stabilisait un temps, pas très longtemps. Il finissait toujours par sombrer et sombrer encore plus fort. Il écrasa le papier dans ses mains et le jeta à la poubelle.

Adam n'écouta pas Guillaume et se rendit tout de même au travail. Pendant tout le service, Guillaume le surveillait tel un père inquiet pour son enfant. Son inquiétude ne l'avait pas quitté et elle redoubla.

Matthieu, un autre chef ayant intégré la brigade de Guillaume à peu près en même temps qu'Adam, le poussa. « Réveille-toi Rosier, on n'a pas ton temps », s'exclama-t-il en passant. Matthieu s'était toujours senti supérieur à Adam. Mais ce n'était pas le cas. Tout le monde savait que le « Clémence » reviendrait à Adam une fois que Guillaume en aurait marre. La jalousie de Matthieu parlait toujours à sa place, convaincu qu'il méritait sa chance. Il voyait Adam comme un adversaire à battre et non comme un collègue à soutenir.

Le service se termina aux alentours de minuit, le dernier service de l'année. Il arrivait parfois que le service finisse plus tard que prévu. Ce 29 décembre-là en faisait partie. Le restaurant était plein à craquer et aucun des employés n'avait pu prendre de véritables pauses. Lorsqu'il eut terminé sa journée, Adam alla aux vestiaires se changer. Guillaume le suivit et se posa contre le chambranle de la porte. Adam sentit le regard de son beau-père posé sur lui. Il savait que ce dernier voulait lui parler. Il s'imaginait déjà subir un interrogatoire digne des plus grands romans policiers. Adam Rosier prit son courage à deux mains et jeta un coup d'œil au quinquagénaire. Celui-ci tenait un sac en plastique bien rempli, et Adam comprit. 29 décembre, dernier jour avant deux semaines de fermeture annuelle. Le sac contenait les restes de la réserve qui devaient être consommés.

C'était la tradition, Guillaume fermait toujours deux semaines pour la nouvelle année. Il n'oubliait jamais cette règle; il ne passerait jamais un Nouvel An sans ses filles. Il fermait pour permettre à chacun de ses employés de se reposer et de profiter d'un moment en famille. Il appelait ces deux semaines le « Renouveau ». Deux semaines pour mieux reprendre.

Guillaume Martin se racla la gorge.

— Je me suis dit que te donner un peu plus de reste te permettrait de ne pas te prendre la tête avec les courses. Tu pourrais mieux te reposer, fiston.

Le regard d'Adam oscillait entre le sac et les yeux de son patron. « Non, s'il te plaît Guillaume, ne me fait pas ça. Je t'en supplie, épargne-moi ça », se dit-il. Guillaume lui tendit le sac, murmurant doucement : « Ne me dis rien, je sais que tu ne veux pas, mais ça me fait plaisir de t'aider ! ».

Guillaume sortit des vestiaires, Adam prit le sac et regarda le contenu. « C'est gentil, Guillaume, mais ne m'enfonce pas. Ne sois pas mon malheur, ne sois pas un autre de mes péchés. ».

Mort Ce SoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant